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Extrait de la lettre d’actualité juridique de janvier 2015

Droit des obligations – Responsabilité contractuelle

Responsabilité contractuelle : quand le comportement du débiteur confine à la faute lourde

La faute lourde, qualifiée de négligence d’une extrême gravité, empêche son auteur de limiter la réparation au seul dommage prévisible ou de s’en affranchir au moyen d’une clause élusive de responsabilité. 

  • Civ. 1re, 29 oct. 2014, F-P+B+I, n° 13-21.980 

L’article 1150 du code civil exclut en principe la réparation du dommage imprévisible en matière contractuelle, sauf en cas de faute dolosive. La jurisprudence a suivi le pas et jugé, de façon constante, que les clauses limitatives ou élusives de responsabilité sont inefficaces en présence d’une faute lourde (V., not., Com. 11 juill. 1995, n° 93-17.477).Tout en rappelant cette position depuis lors non démentie, la première chambre civile admet explicitement dans le présent arrêt que la faute lourde doit s’apprécier à l’aune du comportement de son débiteur, ce qui, au vu des développements en la matière, apporte une clarification bienvenue.

En l’espèce, une société spécialisée s’est vu confier la charge d’un déménagement allant de l’Île de la Réunion à Montpellier. Suite aux dégradations provoquées par l’avarie de l’humidité du conteneur transporté par voie maritime, et après indemnisation des victimes, l’assureur dommages de ces derniers avait exercé un recours subrogatoire à l’encontre des divers prestataires dont le déménageur. Ce dernier ne manqua pas de lui opposer la limite forfaitaire indiquée au contrat de déménagement. La cour d’appel (Montpellier, 22 mai 2013), qui avait pourtant caractérisé une faute lourde en retenant « une négligence d’une extrême gravité confinant au dol », n’en avait pourtant pas tiré toutes les conséquences et avait jugé, au visa de l’article 1150, qu’en l’absence de faute dolosive, le montant stipulé dans la clause limitative de responsabilité devait être appliqué. Par un attendu de principe qui rappelle que la faute lourde, « assimilable au dol, empêche le contractant de limiter la réparation ou de s’en affranchir », l’arrêt a été cassé sur ce point.

Devait-on apprécier la faute lourde au regard de la gravité du comportement de son auteur ou par référence à l’inexécution contractuelle ? Le doute était permis. D’une part, la Cour de cassation a pu télescoper les ressorts de la jurisprudence Chronopost pour définir la faute lourde au seul constat du manquement à l’obligation essentielle (Com. 5 juin 2007, n° 06-14.832). D’autre part, si la chambre commerciale a définitivement abandonné une telle acception de la faute lourde (Com. 1er avr. 2014, n° 12-14.418).

Par le présent arrêt, la réserve est levée : seule la conception subjective de la faute lourde prévaut, et doit être comprise, selon la formule qui a désormais valeur de principe, comme une « négligence d’une extrême gravité dénotant l’inaptitude de son auteur à l’accomplissement de sa mission contractuelle ». Reste encore le choix audacieux, mais limité aux contrats non soumis à un plafond légal d’indemnisation, de soulever l’absence de cause lorsque la clause limitative de responsabilité viendrait à vider le contrat de son essence, ce qui est loin d’être systématique (V., pour un tel contrôle appliqué au contrat de prestation informatique, Com. 29 juin 2010, préc., premier moyen). 

 


 

Droit des obligations

Reconnaissance de l’existence d’une clause compromissoire dans un ensemble contractuel

L’arbitrage repose, sauf exception (V. par ex. à propos de l’arbitrage du bâtonnier pour trancher les litiges entre avocats, L. n° 71-1130, 31 déc. 1971, art. 21, al. 3), sur un fondement conventionnel. Il ne faut jamais le perdre de vue et l’arrêt du 2 avril 2014, rendu dans un contexte particulier de « concours de clauses d’arbitrage dans un ensemble contractuel », vient de le confirmer. C’est, en cas de doute, en se fondant sur la recherche de la commune intention des parties, que le juge de l’annulation va décider de valider ou non la sentence qui lui est soumise. Cet arrêt fait écho à une récente décision rendue par la même juridiction à propos de clauses attributives de juridiction stipulées également dans le contexte d’un groupe de contrats, auquel il a été donné effet également parce qu’elle a été connue et acceptée par celui auquel elle a été opposée (Com. 4 mars 2014, n° 13-15.846).

Les faits de l’espèce, assez compliqués, méritent d’être connus. M. X a conclu, le 24 octobre 2003, avec une société, la SGPA, un « protocole de cession » par lequel celui-ci s’engageait à céder à cette société et à toute autre société contrôlée par elle la totalité des actions représentant le capital de la société INES, ainsi qu’à céder à cette dernière les actions détenues par lui dans le capital d’une autre société Ecoburotic, et ce afin que l’intégralité de ce capital revienne à la société INES, cette dernière en détenant déjà la majorité. Ce protocole de cession, qui imposait au cédant diverses obligations contractuelles, contenait une clause compromissoire. L’opération de cession a été réalisée, le 29 décembre 2003, par la société GEF, se substituant à la société SGPA, la contrôlant. Des dissensions étant intervenues entre les parties, ces dernières ont, le 22 décembre 2004, conclu un « protocole transactionnel », par lequel, « souhaitant mettre un terme définitif à leur collaboration et aux contrats qui les lient », elles sont convenues, notamment, de « mettre fin par le présent protocole à l’ensemble des dispositions du protocole de cession à l’exception des dispositions des articles 9 et 10 relatifs respectivement à la confidentialité et à l’engagement de non-concurrence ». Ce « protocole transactionnel » comportait également une clause compromissoire, identique à celle figurant dans le protocole de cession. Estimant que M. X avait manqué à ses obligations contractuelles d’assurer la passation de ses pouvoirs au sein de la société Ecoburotic, de non-concurrence et de non-débauchage, la société GEF a, le 6 mars 2008, saisi l’association française d’arbitrage, sur le fondement de la clause compromissoire figurant au protocole de cession, d’une demande d’arbitrage en indemnisation de son préjudice, bien qu’elle ne soit pas elle-même partie à ce protocole de cession. Le tribunal arbitral, après s’être déclaré compétent pour statuer sur le litige, a retenu la responsabilité de M. X pour manquement à ses obligations contractuelles de non-concurrence et de non-sollicitation et l’a condamné à payer à la société GEF une certaine somme à titre de dommages-intérêts. L’intéressé a formé un recours en annulation contre cette sentence en faisant valoir que le tribunal arbitral avait statué sans convention d’arbitrage, qui est rejeté par la cour d’appel de Paris (17 mars 2011, n° 09/28626). Il se pourvoit ensuite en cassation, mais sans davantage de succès, le raisonnement des juges d’appel étant pleinement validé par la Cour de cassation.

Cette dernière relève, en effet, que l’arrêt d’appel « retient qu’en prévoyant expressément de soumettre les suites du protocole de cession à l’arbitrage, puis en insérant à nouveau, une année plus tard, dans le « protocole transactionnel », une convention d’arbitrage libellée dans des termes exactement identiques à celle figurant dans le protocole de cession, les parties ont confirmé leur volonté de soumettre leur différend à l’arbitrage ; qu’ayant ainsi fait ressortir, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation de la commune intention des parties, qu’en l’absence de stipulation expresse, dans le « protocole transactionnel », tendant à anéantir la clause compromissoire incluse dans le protocole de cession, cette clause, qui demeurait autonome par rapport au protocole la contenant, ne pouvait se trouver affectée par l’inefficacité partielle de celui-ci du fait du « protocole transactionnel », la cour d’appel en a exactement déduit, sans dénaturation de ce dernier protocole, que le tribunal arbitral n’avait pas statué sans convention d’arbitrage ». On peut voir dans cette solution la volonté des juges de donner plein effet à la convention d’arbitrage, dont l’autonomie est consacrée ce qui n’est pas nouveau, puisque son application n’est pas remise en cause en dépit de l’anéantissement de la convention de cession d’actions dans laquelle elle a été insérée.

 


 

Libertés fondamentales (Grand Oral)

Parodie versus liberté d’expression : à la recherche du juste équilibre

Dans un arrêt du 3 septembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne analyse l’exception de parodie, en donne une définition et précise ses limites.

  • CJUE, gde ch., 3 sept. 2014, aff. C-201/13

La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, livre une décision riche d’enseignements sur une notion classique du droit d’auteur, l’exception de parodie.

En France, son fondement repose sur l’article L. 122-5, 4°, du code de la propriété intellectuelle et, au niveau européen, sur l’article 5, 3, k), de la directive n° 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (sur laquelle, v. not. M. Luby, Droit d’auteur et droits voisins. Société de l’information. Directive CE n° 2001-29 du 22 mai 2001, « sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information », RTD com. 2001. 1044 ). Les textes national ou européen ne font que citer la parodie comme une exception du droit d’auteur, à l’instar de la caricature ou du pastiche, sans en donner de définition et sans en préciser la portée. La jurisprudence française, dès le début du XXe siècle, s’est intéressée à la parodie. En premier lieu, il a été énoncé que la poursuite d’une intention humoristique était nécessaire (T. com. Seine, 26 juin 1934, Gaz. Pal. 1934. 2. 594 ; Dr. auteur 1935. 81). Il a ensuite été précisé que la parodie pouvait concerner tous types d’œuvres : littéraires, artistiques, musicales… Et la Cour de cassation a ajouté qu’il était dans les lois du genre de la parodie de permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée (Civ. 1re, 12 janv. 1988, Bull. civ. I, n° 5) mais qu’elle devait s’en différencier pour éviter tout risque de confusion. Enfin, il a été précisé que la parodie ne devait pas nuire à autrui (V. not. Civ. 1re, 12 janv. 1988, préc.). Mais il manquait à ce vaste édifice jurisprudentiel, les fondations, l’arrêt de principe. La Cour de justice de l’Union européenne apporte sa pierre qui, même si elle arrive a posteriori, permet de sceller la construction.

La question préjudicielle posée par la juridiction belge à la Cour de justice à l’occasion de la parodie d’une bande dessinée était rédigée en forme d’entonnoir afin de délimiter avec le plus de précisions possibles l’exception de parodie. Premièrement, l’exception de parodie est-elle une notion autonome ? Puis, dans l’affirmative, doit-elle remplir les conditions suivantes : être originale, ne pas être raisonnablement attribuée à l’auteur de l’œuvre originale, viser à faire de l’humour ou railler et mentionner la source de l’œuvre parodiée. Enfin, laissant la porte ouverte, la juridiction belge demande si une œuvre doit encore remplir d’autres conditions ou répondre à d’autres caractéristiques pour pouvoir être qualifiée de parodie.

Oui, la notion de « parodie » constitue une notion autonome du droit de l’Union, répond la Cour de justice. Et de poursuivre par une définition plus complète : « la notion de parodie a pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie ». En revanche, la Cour n’entend pas apporter d’autres limitations à la qualification de parodie. En effet, la parodie ne doit pas présenter un caractère original propre, autre que celui de présenter des différences perceptibles par rapport à l’œuvre originale parodiée, ni ne doit pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale lui-même, ou porter sur l’œuvre originale elle-même ou encore mentionner la source de l’œuvre parodiée. La voie la plus large semblait donc ouverte. Toutefois, la Cour rappelle et c’est souvent le cas en matière d’exception au droit d’auteur, que la parodie doit respecter un juste équilibre entre, d’une part, les intérêts et les droits des auteurs et, d’autre part, la liberté d’expression de l’utilisateur d’une œuvre protégée se prévalant de l’exception pour parodie. Finalement, toutes les questions avaient été résolues par la jurisprudence française. Sans pour autant être réunies en une seule et même décision. Voilà chose faite à un niveau supranational.

En l’espèce, et pour mieux comprendre l’enjeu, la parodie représentait l’un des personnages d’une bande-dessinée reproduit sous les traits d’une personnalité politique. Dans la mise en scène d’origine, le personnage revêtu d’une tunique blanche jetait des pièces de monnaie à des personnes essayant de les ramasser. Dans le dessin modifié, au-delà du personnage principal changé, les personnes ramassant les pièces de monnaie ont été remplacées par des personnes voilées et de couleur. Selon les auteurs des originaux, ce dessin a pour objectif de transmettre un message discriminatoire, raison pour laquelle ils entendaient s’opposer à l’exception de parodie. Les juges du fond devront donc, au regard des circonstances, apprécier si les dessins litigieux peuvent être qualifiés de parodie et si le juste équilibre entre le droit d’auteur et la liberté d’expression est garanti.