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ANNALE DU CRFPA : NOTE DE SYNTHÈSE

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  • : Extraits des recommandations de la Commission nationale à destination des jurys et des correcteurs d'épreuve, relativement à l'épreuve d'admissibilité de "Note de synthèse rédigée en cinq heures" (article 5-1° de l'arrêté du 17 octobre 2016) : « L’épreuve est destinée à apprécier, notamment, les capacités de synthèse du candidat : la limite de quatre pages ne doit pas être dépassée. La qualité rédactionnelle est prise en compte (les déficiences orthographiques et syntaxiques, les impropriétés de termes, l’inélégance de style, les obstacles divers à la lisibilité du texte sont sanctionnés). Un plan apparent (avec des titres concis), dont la structuration est laissée à la libre appréciation du candidat, s’il n’est pas obligatoire, est recommandé. La note de synthèse doit consister en une synthèse objective des éléments du dossier documentaire, et seules les informations contenues dans le dossier peuvent être utilisées. La référence au numéro du document peut s’avérer nécessaire à la bonne compréhension de la synthèse et est recommandée. Une brève introduction est recommandée. Une conclusion n’est pas nécessaire ».

À partir des documents joints, vous établirez une note de synthèse sur le sujet suivant :

LES IMMUNITÉS EN DROIT

Document 1 : Article 311-12 du code pénal

Document 2 : Extraits (sans notes de bas de page) de la note de Monsieur Dirk Baugard sous la décision du Conseil d’État du 15 décembre 2010, Gaz. Pal., 2 février 2011, p. 12

Document 3 : Arrêt rendu en Assemblée plénière par la Cour de cassation, 14 décembre 2001, 00-82.066

Document 4 : Extraits (sans notes de bas de page) des observations de Monsieur François Mélin sous l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 3 février 2021 (n° 19-10669), Dalloz Actualité, 2 mars 2021

Document 5 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Privilèges et immunités de l’Union européenne » du Répertoire Dalloz de droit européen, rédigé par Madame Isabelle Pinge

Document 6 : Arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 27 novembre 2019, n° 18-13.790

Document 7 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Brigitte Stern, Pinochet face à la justice, Études 2001/1 (Tome 394), pages 7 à 18

Document 8 : Extraits de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 26 février 2020 (n° 19-81.561)

Document 9 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Fabien Bottini, « Chef de l’État, ministres, parlementaires : et si l’immunité était levée ? », Journal The conversation, 26 janvier 2021

Document 10 : Compte-rendu de la décision du Tribunal de l’Union européenne, en date du 12 février 2020, aff. T-248/19, Bilde c/ Parlement, par Monsieur Vincent Bassani, Europe n° 4, Avril 2020, comm. 114

Document 11: Compte-rendu de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 8 avril 2010 (n°09-88675), LexisNexis, 18 nov. 2015

Document 12: Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Agnès Cerf- Hollender, L’évolution du champ des immunités familiales en matière pénale, LPA 8 sept. 2017, n° 129k3, p. 56

Document 13 : Extraits de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Al-Adsani c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001

Document 14: Extraits de l’ouvrage de MM. Malaurie, Aynès et Stoffel-Munck, Droit des obligations, 11e éd., 2020, n° 105

Document 15 : Compte-rendu de l’arrêt de la chambre criminelle du 19 décembre 2012 (n° 12- 81043) par Madame Catherine Berlaud, Gaz. Pal. 24 janv. 2013, n° 114w2

Document 16 : Extraits de l’article « Le Conseil constitutionnel retoque le texte sur la protection des sources des journalistes », Journal Le Point, 10 novembre 2016

Document 17 : Extraits du fascicule « Responsabilité pénale en cascade dans la presse écrite et l’édition » par Monsieur Jérôme Bossan, J.-CI. Communication

Document 18 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Immunités » du Répertoire Dalloz de droit international, rédigé par Madame Catherine Kessedjian

Document 19 : Article 67 de la Constitution française

Document 20 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Terrorisme — Poursuites et indemnisation — Procédure interne » du Répertoire Dalloz de droit pénal, rédigé par Monsieur Yves Mayaud

Document 21 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Gaëlle Deharo- Dalbignat, « Délicatesse et modération : l’immunité de robe ne couvre pas les propos tenus par l’avocat hors de l’audience », Gaz. Pal. 17 avr. 2012, p. 20

Document 22 : Extraits de l’article « Agressions sexuelles présumées : le Vatican lève l’immunité de son représentant en France », Journal Le Monde, 8 juillet 2019

Document 23 : Extraits de la tribune de Monsieur Emmanuel Dockès « Pendant la grève, la sanction illicite des actes illicites », Journal Libération, 4 février 2020

DOCUMENT 1 : Article 311-12 du code pénal

Ne peut donner lieu à des poursuites pénales le vol commis par une personne :
1° Au préjudice de son ascendant ou de son descendant ;

2° Au préjudice de son conjoint, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément.

Le présent article n’est pas applicable :

a) Lorsque le vol porte sur des objets ou des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d’un étranger, ou des moyens de paiement ou de télécommunication ;

b) Lorsque l’auteur des faits est le tuteur, le curateur, le mandataire spécial désigné dans le cadre d’une sauvegarde de justice, la personne habilitée dans le cadre d’une habilitation familiale ou le mandataire exécutant un mandat de protection future de la victime.

DOCUMENT 2 : Extraits (sans notes de bas de page) de la note de Monsieur Dirk Baugard sous la décision du Conseil d’État du 15 décembre 2010, Gaz. Pal., 2 février 2011, p. 12

L’arrêt commenté, rendu le 15 décembre 2010 par le Conseil d’État, présente un intérêt certain : confirmant une évolution jurisprudentielle récente de la haute juridiction administrative qui la conduit à adopter, comme la Cour de cassation, une analyse restrictive des faits pouvant justifier un licenciement disciplinaire, il fait apparaître une divergence sérieuse entre les deux
juridictions régulatrices s’agissant des conséquences qui peuvent être tirées du fait qu’un salarié, recruté pour assurer des fonctions de chauffeur, a conduit en état d’ébriété hors du temps de travail et s’est vu suspendre en conséquence son permis de conduire.

Les faits de l’espèce peuvent être simplement résumés. Un salarié de la société Onyx Est, engagé en qualité de conducteur de benne à ordures ménagères, fit l’objet, hors du temps de travail et à l’occasion de la conduite d’un véhicule personnel, d’un contrôle d’alcoolémie positif ayant entraîné une suspension de son permis de conduire à titre administratif pour une période de quatre mois. Après avoir sollicité de son salarié des explications sur cet événement, l’employeur enclencha une procédure de licenciement et saisit l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement, le salarié étant un salarié protégé. L’inspection du travail refusa d’autoriser le licenciement, mais sur recours hiérarchique, le ministre de l’Équipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer annula la décision de refus et autorisa le licenciement du salarié. Le salarié déféra alors cette décision à la censure du tribunal administratif compétent, qui en prononça l’annulation. Sur appel de l’employeur, la cour administrative d’appel de Nancy, annula ce jugement. C’est cette décision qui fut soumise à l’examen du Conseil d’État qui l’annule dans le présent arrêt.

(..)

L’arrêt vient confirmer une conception stricte, assez récente pour le Conseil d’État, des agissements et comportements d’un salarié protégé devant s’analyser comme une faute et pouvant, si celle-ci est suffisamment grave, justifier l’autorisation de licencier pour faute. Le Conseil d’État a en effet longtemps jugé qu’un fait, bien qu’étranger aux relations de travail, pouvait néanmoins caractériser une faute du salarié. Cette analyse avait des conséquences notables lorsque la demande d’autorisation de licenciement pour faute reposait sur des faits attachés à l’exercice d’un mandat de représentation du personnel. Dans un tel cas, en effet, le Conseil d’État se plaçait sur le terrain de la faute disciplinaire : les comportements du salarié ne pouvant se rattacher à « l’exécution normale » du mandat étaient susceptibles de caractériser une faute suffisamment grave justifiant la délivrance de l’autorisation administrative de licencier, pour reprendre les termes mêmes du fameux arrêt Safer d’Auvergne.

Le maintien de cette jurisprudence était certainement rendu difficile au regard des précisions jurisprudentielles apportées par la Cour de cassation s’agissant du pouvoir disciplinaire de l’employeur. Celle-ci a en effet progressivement établi la spécificité, au sein des licenciements pour motif personnel, du licenciement pour motif disciplinaire, qui ne peut être justifié que s’il repose sur une faute – réelle et sérieuse – du salarié. Aussi la définition du fait fautif a-t-elle pris une importance particulière, la Cour régulatrice précisant « qu’un fait fautif ne peut s’entendre que d’un fait du salarié contraire à ses obligations à l’égard de l’employeur ». Sans violation par le salarié « ordinaire » de ses obligations, le licenciement disciplinaire prononcé à son encontre est donc nécessairement privé de cause réelle et sérieuse.

(..)

Coexistaient ainsi des conceptions différentes par la Cour de cassation et le Conseil d’État des faits susceptibles de légitimer un licenciement disciplinaire : alors qu’un fait non fautif ne pouvait jamais, pour la première, fonder un tel licenciement, il pouvait, selon le second, justifier l’octroi une demande d’autorisation de licenciement pour motif disciplinaire.

(..)

Cette immunité disciplinaire pour un fait étranger à l’exécution du contrat de travail est explicitement affirmée dans l’arrêt commenté : « l’agissement du salarié intervenu en dehors de l’exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute ».

DOCUMENT 3 : Arrêt rendu en Assemblée plénière par la Cour de cassation, 14 décembre 2001, 00-82.066

LA COUR,
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er mars 2000), que M. X.., comptable salarié de la société Virydis, a été définitivement condamné des chefs de faux, usage de faux et escroqueries, pour avoir fait obtenir frauduleusement à cette société des subventions destinées à financer de faux contrats de qualification ; que, statuant à son égard sur les intérêts civils, l’arrêt l’a condamné à payer des dommages-intérêts aux parties civiles ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que ne saurait engager sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui a agi sans excéder les limites de la mission qui lui avait été assignée par son commettant, de sorte que la cour d’appel, qui a ainsi condamné M. X.. à indemniser les parties civiles du préjudice qu’elles avaient subi à raison d’infractions pour lesquelles sa responsabilité pénale avait été retenue sans aucunement rechercher, nonobstant les conclusions dont elle était saisie, si ces infractions ne
résultaient pas uniquement de l’exécution des instructions qu’il avait reçues et s’inscrivaient par conséquent dans la mission qui lui était impartie par son employeur, la société Virydis, seule bénéficiaire desdites infractions, n’a pas légalement justifié sa décision au regard du
principe précité ;

Mais attendu que le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, füt-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ; que dès lors, en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi.

DOCUMENT 4 : Extraits (sans notes de bas de page) des observations de Monsieur François Mélin sous l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 3 février 2021 (n° 19-10669), Dalloz Actualité, 2 mars 2021

L’arrêt de la première chambre civile du 3 février 2021 porte sur un nouveau volet de l’affaire Commisimpex, relative à l’immunité de juridiction des missions diplomatiques étrangères.

Pour l’apprécier, il est utile de le mettre en perspective face à de précédents arrêts concernant les mêmes parties. Rappelons néanmoins dès à présent que le litige s’est développé à la suite du prononcé de deux sentences arbitrales au cours des années 2000 et 2013, qui ont
condamné la République du Congo à payer diverses sommes à la société Commisimpex, la République du Congo s’étant par la suite prévalue de l’immunité que lui assure le droit international public.

1° Le contexte juridique

Rompant avec la solution adoptée par un arrêt du 28 septembre 2011, un arrêt du 13 mai 2015 a énoncé que « le droit international coutumier n’exige pas une renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution », alors qu’il était précédemment acquis que la renonciation devait être à la fois expresse et spéciale.

Un arrêt du 10 janvier 2018 a toutefois opéré un revirement de jurisprudence, en retenant que la validité de la renonciation par un État étranger à son immunité d’exécution est subordonnée à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale, cet arrêt ayant été rendu postérieurement à l’adoption de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « Sapin Il », qui a introduit, dans le code des procédures civiles d’exécution, les articles L. 111-1-1 et suivants, relatifs aux mesures d’exécution forcée sur les biens des États étrangers.

Un arrêt du 2 octobre 2019 a dit qu’il n’y avait pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, concernant l’interprétation donnée par cet arrêt du 10 janvier 2018 à l’article L. 111-1-3.

2° L’affaire jugée le 3 février 2021

La première chambre civile a par ailleurs été saisie d’un autre aspect de l’affaire, qui a donné lieu au prononcé de l’arrêt du 3 février 2021.

La société Commisimpex a fait pratiquer une saisie-attribution de différents comptes ouverts auprès d’une banque au nom de la mission diplomatique à Paris de la République du Congo. Cette dernière a alors invoqué son immunité d’exécution et a contesté la validité des mesures, en faisant valoir qu’elle n’avait pas renoncé spécialement et expressément à son immunité.

La cour d’appel a retenu, dans ce cadre, que la mainlevée devait être ordonnée.

Le pourvoi, particulièrement étoffé, dirigé contre sa décision est rejeté.

La première chambre civile rappelle tout d’abord, en prenant soin de se référer à sa jurisprudence, que « selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des États étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l’État accréditaire,
d’une immunité d’exécution à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale ».

Elle ajoute que « cette immunité s’étend, notamment, aux fonds déposés sur les comptes bancaires des missions diplomatiques, lesquels sont présumés être affectés aux besoins de la mission de souveraineté de l’État accréditaire » et que « cette présomption, justifiée par la
nécessité de préserver cette mission à l’exercice de laquelle participent les représentations diplomatiques, cède devant la preuve contraire qui, pouvant être rapportée par tous moyens, n’est pas rendue impossible aux créanciers ». Cette formule s’inscrit dans la continuité de
l’arrêt du 28 septembre 2011, qui avait approuvé une cour d’appel d’avoir retenu que les comptes bancaires d’une ambassade sont présumés être affectés à l’accomplissement des fonctions de la mission diplomatique, de sorte qu’il appartient au créancier qui entend les saisir de rapporter la preuve que ces biens seraient utilisés pour une activité privée ou commerciale.

(..)

DOCUMENT 5 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Privilèges et immunités de l’Union européenne » du Répertoire Dalloz de droit européen, rédigé par Madame Isabelle Pingel

1. Toutes les organisations internationales bénéficient de privilèges et immunités. Les uns comme les autres sont visés, en droit de l’Union européenne, par une disposition particulièrement cursive du traité, l’article 343 TFUE. Ce dernier se contente d’énoncer que « l’Union jouit sur le territoire des États membres des privilèges et immunités nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Il en est de même de la Banque centrale européenne et de la Banque européenne d’investissement ».

(..)

3. De facture classique, sans que cela exclue certaines particularités, le protocole no 7 contient des dispositions qui rappellent celles des conventions du 13 février 1946 sur les privilèges et immunités des Nations unies. Palliatifs à l’absence de territoire, elles visent en particulier à garantir l’indépendance de l’organisation et la continuité de son action. Selon la distinction désormais classique entre leurs titulaires et leurs bénéficiaires, les privilèges et immunités de l’Union européenne concernent soit l’organisation elle-même, soit les personnes qui concourent à son fonctionnement.

4. Les privilèges et immunités reconnus à l’Union européenne ont pour fonction de la protéger des pressions qui pourraient être exercées contre elle par les États membres et, parfois, non membres. Ils sont détaillés par deux séries de dispositions, qui s’appliquent, pour les plus nombreuses, sur le territoire des États membres, pour les autres, dans ses relations avec les États tiers.

(..)

7. On distinguera classiquement ici immunité de juridiction et immunité d’exécution.

A – L’immunité de juridiction

8. Le protocole no 7, source majeure du droit de l’Union en matière de privilèges et immunités, ne contient aucune disposition sur l’immunité de juridiction de l’organisation. La matière est donc réglée par le seul article 274 du TFUE qui précise que les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas soustraits « de ce fait » à la compétence des juridictions nationales. La position est a priori remarquable. À quelques exceptions près en effet qui ne prévoit aucune immunité de juridiction au profit de cet office, toutes les organisations internationales revendiquent, y compris en justice, le bénéfice d’une telle immunité. En réalité, l’option retenue par l’Union européenne est moins originale qu’il y paraît.

9. L’article 274 TFUE spécifie en effet qu’il ne s’applique que « sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice ». La précision est importante, car le traité investit la Cour du pouvoir de connaître de la presque totalité des contentieux soulevés par l’activité de l’Union, qu’il s’agisse de légalité (V. TFUE, art. 263 à 266), de responsabilité non contractuelle (V. TFUE, art. 268 et 340) ou même contractuelle, si les parties en sont convenues ainsi par clause compromissoire (V. TUE, art. 272). De même, la Cour est compétente pour connaître des litiges concernant les fonctionnaires et agents de l’Union, à l’exception toutefois des agents recrutés localement (V. TFUE, art. 270 et art. 122 du statut des autres agents). La compétence des tribunaux nationaux est donc vouée à demeurer marginale : elle est limitée, pour l’essentiel, aux litiges en matière de responsabilité contractuelle, et seulement à condition que le contrat n’en dispose pas autrement (ce qui sera rare) et ait été conclu par l’Union ou pour son compte.

(..….)
B – L’immunité d’exécution

11. Comme en matière de juridiction, le protocole no 7 est original s’agissant de l’immunité d’exécution. Cette dernière ne revêt pas, en effet, à la différence par exemple de celle de l’Organisation des Nations unies (ONU), une portée absolue. Le texte se contente de prévoir que « les biens et avoirs de l’Union ne peuvent faire l’objet d’aucune mesure de contrainte administrative ou judiciaire sans une autorisation de la Cour de justice ».

12. Comme la jurisprudence l’a très tôt souligné, une mesure de contrainte s’entend ici de toute celle qui vise à imposer « à la Communauté l’exécution d’une décision modifiant sa situation juridique ».

Comme l’a également précisé la jurisprudence, l’autorisation prévue à l’article 1er du protocole n’est exigée qu’en vue de préserver l’existence des privilèges et immunités de l’Union : le « pouvoir protecteur » de la Cour se limite donc à l’examen de la question de savoir si la mesure en cause est susceptible « d’apporter des entraves au bon fonctionnement et à l’indépendance » de l’organisation. Il en résulte que le contrôle de la Cour ne se substitue pas, le cas échéant, au contrôle effectué par la juridiction nationale, seule compétente pour déterminer si toutes les conditions de la mesure de saisie sont « effectivement remplies ». De plus, l’autorisation de saisie n’est requise que si l’institution concernée s’oppose à la mesure de contrainte.

(..)

13. (…) la Cour de justice retient une interprétation très stricte de l’article Ter du protocole. Elle admet certes qu’une mesure de contrainte peut être autorisée lorsqu’elle ne risque pas d’entraver le fonctionnement de l’Union.

DOCUMENT 6 : Arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 27 novembre 2019, n° 18-13.790

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 24 janvier 2015), que Mme K.. B.., engagée par la République du Ghana, en son ambassade, à Paris, en qualité de secrétaire bilingue, à compter du 1er août 2005, a été licenciée pour faute grave, par lettre du 24 avril 2009, après avoir été mise à pied ;

Sur les premier et deuxième moyens réunis du pourvoi principal :

Attendu que la République du Ghana fait grief à l’arrêt d’écarter l’immunité de juridiction invoquée et de la condamner à payer à la salariée une indemnité de préavis, des congés payés sur préavis, une indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :

(..)

3°/ que, aux termes de l’article 11, $ 2, de la Convention des Nations unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, telle qu’adoptée le 2 décembre 2004, et invocable devant les juridictions françaises comme consacrant à tout le moins une règle coutumière du droit international public, l’immunité de juridiction s’oppose à ce que l’agent d’un Etat étranger saisisse le juge d’un autre Etat si l’action, concernant son licenciement risque, selon l’avis du ministre des affaires étrangères, d’interférer avec les intérêts de l’Etat en matière de sécurité ; qu’en l’espèce, se prévalant de l’article 11, $ 2, de la Convention du 2 décembre 2004, la République du Ghana produisait une attestation émanant de son ministre des affaires étrangères constatant que la procédure engagée par l’agent en l’espèce interférait avec les intérêts de l’Etat de la République du Ghana en matière de sécurité ; que l’attestation du ministère des affaires étrangères de la République du Ghana était produite ; qu’en se reconnaissant le pouvoir de statuer sur les demandes de Mme B…, dans ces conditions, les juges du fond ont violé la règle coutumière consacrée par l’article 11, $ 2, de la Convention des Nations unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs bien du 2 décembre 2004 ;

(..)

Mais attendu qu’il résulte du droit international coutumier, tel que reflété par l’article 11, $ 2, d, de la Convention des Nations unies, du 2 décembre 2004, sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, et de l’article 6, $ 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que l’avis du chef de l’Etat, du chef du gouvernement ou du ministre des Affaires étrangères de l’Etat employeur, selon lequel l’action judiciaire ayant
pour objet un licenciement ou la résiliation du contrat d’un employé risque d’interférer avec les intérêts de cet Etat en matière de sécurité, ne dispense pas la juridiction saisie de déterminer l’existence d’un tel risque ;

Et attendu que, ayant retenu que la salariée était chargée de l’organisation des activités sociales de l’ambassadeur, de la mise à jour hebdomadaire de son agenda, de ses appels entrants et sortants, de servir des rafraîchissements aux visiteurs de l’ambassadeur et le déjeuner de celui-ci, de l’affranchissement et de l’expédition du courrier, de préparer et de saisir toutes les correspondances non-confidentielles en langue française et de faire les réservations de vols et d’hôtels pour l’ambassadeur et ainsi fait ressortir qu’un tel risque n’était pas établi, la cour d’appel a exactement décidé, sans être tenue de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle a décidé d’écarter, que le principe de l’immunité de juridiction ne s’appliquait pas,

D’où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

DOCUMENT 7 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Brigitte Stern, Pinochet face à la justice, Études 2001/1 (Tome 394), pages 7 à 18

Qui aurait pensé, il y à trois ans, avant son arrestation en Grande-Bretagne, que Pinochet aurait un jour à répondre de ses actes devant la justice ? C’est pourtant ce qui est aujourd’hui possible, juridiquement et politiquement, même si l’inexorable écoulement du temps risque encore de faire que ce procès ne reste virtuel. L’avancée majeure est cependant déjà là : un ancien dictateur n’est plus à l’abri derrière ses immunités, l’impunité ne lui est plus garantie.

Comment en est-on arrivé là ? L’arrestation du général Pinochet par la police britannique, le 16 octobre 1998, a créé une situation internationale d’une extrême complexité, suscitant chez les uns des inquiétudes politiques, chez d’autres un immense espoir. Inquiétudes pour certains, dans la mesure où ce précédent peut faire tache d’huile. Mais d’autres s’en réjouiront, voyant enfin le règne du droit l’emporter sur les considérations de géopolitique, où la morale ne trouve guère son compte.

(..)

Dans un premier temps, saisies de mandats d’arrêt internationaux par le juge espagnol, les autorités britanniques arrêtèrent le Général. Celui-ci fit appel en soulevant l’incompétence du juge espagnol et l’existence d’une immunité en tant qu’ancien chef d’Etat, qui le mettait à l’abri de toute poursuite. Dans un deuxième temps, le 28 octobre 1998, la Haute Cour de Londres a reconnu son immunité et ordonné sa libération. Mais, dans un troisième temps, cet arrêt a été renversé par une décision de la Chambre des Lords du 25 novembre 1998, puis après que celle-ci fut écartée parce qu’il n’était pas certain qu’un des juges membre d’Amnesty International fût suffisamment impartial, par une nouvelle décision dans le même sens, du 24 mars 1999.

Le principal problème était en fait soulevé par l’immunité diplomatique, sur la portée de laquelle les juges se sont divisés : celle-ci accorde une immunité totale au chef d’Etat lorsqu’il est en fonction et, en outre, continue à lui accorder une immunité lorsqu’il n’est plus en fonction, mais pour les seuls « actes commis dans l’exercice de ses fonctions ».

Dès la première décision, se sont opposées deux lectures de cette disposition. Une lecture textuelle étroite — celle de Lord Slynn of Hadley et de Lord Lloyd of Berwick — considérait que n’importe quel acte qui n’est pas un acte privé, commis matériellement pendant qu’un chef d’Etat est en fonction, quelle que soit sa nature, même particulièrement révoltante, est un acte relevant des fonctions du chef de l’Etat et donc non susceptible de donner lieu à une
responsabilité pénale ; il est pourtant révélateur que, malgré l’analyse qu’il a retenue, Lord Slynn of Hadley n’ait pu s’empêcher de faire remarquer que, « bien sûr, il est étrange de considérer le meurtre ou la torture comme des actes “officiels” ou comme s’inscrivant dans les “fonctions publiques” d’un chef d’Etat ». Etrange, en effet… Précisément, selon une autre lecture, téléologique, prenant en considération la finalité de la règle, certains actes ne devaient jamais pouvoir être considérés comme entrant dans les fonctions d’un chef d’Etat : des crimes contre l’humanité, des actes de torture, des actes de génocide contre ses propres sujets ou contre des étrangers ne relèvent pas des « fonctions » d’un chef d’Etat, qui, au contraire, doit
protéger ses citoyens et les étrangers qui se trouvent sur son territoire. L’absurdité de la lecture littérale a été mise en évidence par Lord Steyn, dans son opinion du 25 novembre 1998 : menée à son terme logique, elle implique que lorsque Hitler a ordonné que soit mise en œuvre la « solution finale », il bénéficiait d’une immunité parce qu’il agissait dans l’exercice de ses fonctions de chef de l’Etat allemand.

C’est l’interprétation finaliste qui a été adoptée à nouveau dans la décision du 24 mars 1999 par six juges sur sept : elle dessine les nouveaux contours de ce qui est aujourd’hui « acceptable » de la part d’un chef d’Etat. Certes, tous les actes illégaux commis par un chef d’Etat ne justifieront pas que soit écartée l’immunité, mais il y a une ligne rouge à ne pas franchir, et les décisions de la Chambre des Lords ont le mérite de la rendre visible.

DOCUMENT 8 : Extraits de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 26 février 2020 (n° 19-81.561)

(..)
Vu les articles L.622-4, 3du CESEDA et 593 du code de procédure pénale :

7. Il résulte du premier de ces textes, dans sa version issue de la loi n2018-778 du 10 septembre 2018, qu’est accordé le bénéfice de l’immunité pénale à toute personne physique ou morale ayant apporté une aide à la circulation ou au séjour irrégulier d’un étranger lorsque l’acte reproché, ne donnant lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte, a consisté à fournir une aide apportée dans un but exclusivement humanitaire.

8. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

9. Pour dire que le prévenu ne pouvait bénéficier des dispositions de l’article L. 622-4,3°, du CESEDA, et le déclarer coupable des faits poursuivis, l’arrêt relève que si la démarche de M. F. n’a donné lieu à aucune contrepartie et visait à assurer le gîte et le couvert à ses passagers, sa propre audition, celles de sa mère et des migrants font apparaître que le prévenu n’avait pas connaissance de l’éventuelle situation de détresse de ces derniers.

10. Les juges ajoutent que les déclarations du prévenu, selon lesquelles il aurait agi uniquement à titre personnel et non pour le compte d’une association d’aide aux migrants, sont démenties par ses autres réponses apportées aux gendarmes et par les données de l’enquête dès lors qu’il a précisé appartenir à cette association, dont les juges retiennent qu’il est de notoriété publique qu’elle apporte aide et assistance à des personnes étrangères en situation irrégulière, et connaître son responsable.

11. Ils en concluent que l’exemption pénale des dispositions de l’article L. 622-4, 3°, dont M. F. se prévaut, sans que soient remises en cause l’absence de contrepartie directe ou indirecte ainsi que la motivation du prévenu d’agir selon sa conscience et ses valeurs, n’est pas établie, dès lors que la prise en charge de plusieurs personnes étrangères, en situation irrégulière, par le prévenu à la gare de Fontan/Saorge à bord du véhicule de sa mère avec la volonté de les transporter chez M. H. n’a pas été réalisée dans un but uniquement humanitaire.

12. Ils retiennent en effet que les actes de M. F., dépourvus de toute spontanéité et constitutifs d’une intervention sur commande sans connaissance de l’éventuelle situation de détresse des migrants, qu’il savait avoir pénétré illégalement en France, se sont inscrits, de manière générale, dans le cadre d’une démarche d’action militante en vue de soustraire sciemment des personnes étrangères aux contrôles mis en oeuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration.

13. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes visés au moyen.

14. En premier lieu, la situation de détresse des migrants n’est pas un élément visé par l’article L. 622-4 3°, du CESEDA.

15. En deuxième lieu, il ne résulte nullement de ces dispositions légales que la protection dont bénéficient les auteurs d’actes accomplis dans un but exclusivement humanitaire soit limitée aux actions purement individuelles et personnelles et qu’en soit exclue une action non spontanée et militante exercée au sein d’une association.

16. En troisième lieu, si l’aide apportée aux fins de soustraire sciemment des personnes étrangères aux contrôles mis en oeuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration peut constituer un but excluant son auteur du bénéfice de l’exemption prévue par l’article L. 622-4 3° du CESEDA, la cour d’appel, qui s’est abstenue de caractériser un tel mobile, ne pouvait se contenter de procéder par voie d’affirmation.

17. La cassation est par conséquent encourue.

DOCUMENT 9 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Monsieur Fabien Bottini, « Chef de l’État, ministres, parlementaires : et si l’immunité était levée ? », Journal The conversation, 26 janvier 2021

Trouver le bon équilibre entre protection pénale et continuité des fonctions

À la suite de l’explosion des scandales politico-financiers, trois révisions constitutionnelles sont intervenues dans les années 1990, pour tenter de trouver un meilleur équilibre entre la soumission des intéressés à la loi pénale commune et la protection nécessaire à la continuité de leurs fonctions.

Depuis le vote des lois constitutionnelles n° 93-952 du 27 juillet 1993, n° 95-880 du 4 août 1995 et n° 2007-238 du 23 février 2007, les poursuites contre les parlementaires sont libres en cas de flagrant délit – même si elles restent subordonnées à une autorisation du bureau de leur chambre dans le cas contraire et si leur assemblée peut dans tous les cas exiger la suspension des poursuites ou des mesures coercitives dont ils font l’objet (art. 26 C.)

Le chef de l’État peut, quant à lui, être destitué par le parlement réunit en Haute cour — sorte de tribunal habilité à le priver de son mandat politique — « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », de façon à faciliter sa mise en cause pénale par la suite — ce qui n’est encore jamais arrivé (art. 67 et 68 C.).

Enfin, les membres du gouvernement sont justiciables des tribunaux ordinaires pour les faits détachables de leurs fonctions ministérielles. Ceux qui y sont rattachables ne peuvent être jugés que par une Cour de justice de la République (CJR) elle-même essentiellement constituée de députés ou de sénateurs, même après la fin de leurs fonctions (art. 68-1 et 68- 2 C.).

(…)
Une immunité à double tranchant

Principe démocratique, séparation des pouvoirs. les arguments théoriques invoqués à l’appui du maintien de ces immunités sont certes sérieux.

Mais, sous couvert de respecter les idéaux de la démocratie libérale, leur mise en œuvre pratique les méconnaît : en ignorant que la démocratie postule en toute circonstance le respect de la volonté générale ; et le libéralisme l’obligation de chacun d’assumer personnellement la responsabilité de ses actes — surtout lorsqu’il s’agit d’infractions à la loi pénale.

Sans nier le particularisme de la situation des décideurs publics, il convient donc de s’interroger sur la subsistance de solutions dérogatoires formulées à une autre époque au moment où, sous l’influence de l’article 6$1 de la Convention européenne des droits de l’homme, tout prévenu a désormais droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial.

Car cela implique que chacun puisse bénéficier de la présomption d’innocence en l’absence de condamnation définitive et que des juges professionnels recrutés par concours, pour leurs compétences, sur une base méritocratique, instruisent objectivement l’affaire, sans parti pris, à charge ET à décharge, pour assurer la pleine, entière et effective application de la loi pénale, « soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » (art. 6 de la DDHC).

(..)
Une réforme parait indispensable

On laura compris : depuis le tournant des années 1990 le maintien même d’une justice politique conduisant à laisser aux membres du parlement le soin d’autoriser les poursuites visant les représentants de la Nation (qu’il s’agisse de leurs pairs ou du chef de l’État) ou carrément de juger les ministres fait débat.

C’est pourquoi en 2012 la Commission Jospin avait proposé de renforcer la compétence des tribunaux correctionnels ou des cours d’assises à l’égard des décideurs constitutionnels pour mettre un terme au soupçon permanent que nourrit cette justice d’exception.

Sans doute conviendrait-il de confier à une commission de magistrats expérimentés issus des juridictions judiciaires le soin de filtrer les plaintes pour écarter les poursuites abusives ou infondées à leur encontre et à d’autres magistrats pénalistes tout aussi expérimentés le soin de les juger.

Peut-être faudrait-il même instaurer un référendum révocatoire permettant à un dixième des électeurs de proposer la destitution d’un ministre ou du chef de l’État dans des cas graves, pour faciliter l’exercice des poursuites les visant en cas de paralysie des chambres, comme cela se fait aux États-Unis ?

Il est à tout le moins souhaitable que le débat puisse s’engager dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice tant les réformes menées dans les années 1990 ont fait la preuve de leurs limites.

DOCUMENT 10 : Compte-rendu de la décision du Tribunal de l’Union européenne, en date du 12 février 2020, aff. T-248/19, Bilde c/ Parlement, par Monsieur Vincent Bassani, Europe n° 4, Avril 2020, comm. 114

Le Tribunal de l’Union européenne s’est prononcée sur la validité de la décision P8_TA(2019)0137 du Parlement, du 12 mars 2019, de lever l’immunité parlementaire de Mme Bilde, ressortissante française députée au Parlement européen depuis 2014. Cette décision a pour origine la procédure de recouvrement initiée par le Parlement européen afin de récupérer les frais d’assistance parlementaire au motif qu’il n’avait pas été établi que l’activité de
l’assistant parlementaire était effectivement, directement et exclusivement liée à son mandat. La décision de recouvrir lesdits frais a été validée par la Cour de justice (CJUE, ord., 6 sept. 2018, aff. C-67/18 P, Bilde c/ Parlement). Cependant, les autorités françaises ont ouvert une procédure pénale à l’égard de la parlementaire européenne. C’est dans ce cadre qu’il a été demandé au Parlement européen de lever l’immunité parlementaire de l’intéressée. Par la décision du 12 mars 2019, le Parlement européen a levé ladite immunité. L’intéressée a alors formé un recours en annulation.

Par son premier moyen, la requérante arguait que le Parlement avait dénaturé les faits en ayant dissimulé le remboursement de l’intégralité des frais d’assistance parlementaire litigieux, intérêts de retard compris, et que le Parlement n’avait pas effectué le contrôle nécessaire sur le but de la demande de levée d’immunité, contrôle qui l’aurait conduit à considérer la demande comme abusive. Le Tribunal de l’Union reconnaît que la décision litigieuse ne mentionne pas ledit remboursement. Pour autant, il indique que la requérante n’établit pas l’incidence de ce remboursement sur la demande de levée d’immunité effectuée dans le cadre de la procédure nationale. Or, le remboursement a eu lieu dans le cadre de la procédure de recouvrement en vertu de l’article 68, $ 1 des mesures d’application du statut des députés, laquelle tend à la répétition de l’indu, alors que la procédure pénale nationale vise à établir si une infraction, au sens du droit pénal français, a été commise. Par conséquent, le Tribunal estime que les faits n’ont pas été dénaturés et que le contrôle n’était pas insuffisant. De plus, n’est pas établi par la requérante en quoi la procédure pénale nationale « révélerait une volonté de nuire à son activité politique » (pt 31). Il en découle que le Parlement n’a pas commis d’erreur dans l’examen de l’éventualité d’un fumus persecutionis.

Dans son deuxième moyen, la requérante estimait qu’en ayant choisi de recourir à la procédure de recouvrement conformément à l’article 68 des mesures d’application du statut des députés, le Parlement ne pouvait pas, en vertu des adages e/ecta una via et ne bis in idem, poursuivre les mêmes fins à travers la procédure pénale française. S’agissant du principe e/ecta una via, le Tribunal estime « que rien ne permet de considérer que [ce principe] s’applique dans l’ordre juridique de l’Union aux actions entreprises par les institutions de l’Union » (pt 39) et qu’à supposer que tel était le cas, celui-ci ne serait pas applicable car la procédure de recouvrement déployée sur le fondement de l’article 68 est une « procédure
interne de nature purement administrative et non une procédure de nature civile devant une juridiction » (pt 40). Concernant le principe ne bis in idem, qui, lui, fait partie des principes généraux du droit de l’Union européenne, le Tribunal indique que ce principe prohibe que plus d’une sanction soit adoptée à l’égard d’une même personne pour la protection d’un même bien juridique (V., en ce sens, CJCE, 7 janv. 2004, aff. jtes C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P,
C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Aalborg Portland et a. : Europe 2004, comm. 83, obs. L. ldot). En l’espèce, le Tribunal estime que la décision de lever l’immunité de la requérante n’est pas une sanction, à l’instar de la procédure de recouvrement suivie par le Parlement européen. Le principe ne bis in idem n’est donc pas applicable. En conclusion, le recours est rejeté.

DOCUMENT 11 : Compte-rendu de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 8 avril 2010 (n°09-88675), LexisNexis, 18 nov. 2015

Jurisprudence – Agents diplomatiques et consulaires Immunité diplomatique, Conditions,

Cour de cassation chambre criminelle, 8 avr. 2010, no 09-88675

L’article 38, 1 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961, qui n’accorde aux ressortissants de l’Etat accréditaire l’immunité de juridiction et l’inviolabilité que pour les actes officiels accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, est applicable à un ressortissant français accrédité auprès de l’Unesco pour le compte de la République d’Angola et les faits reprochés à ce dernier, déclaré coupable de fraude fiscale, abus de confiance, trafic d’influence aggravé et commerce illicite d’armes et de munitions, étant sans lien avec l’exercice de ses fonctions, il ne bénéficie ni de l’immunité ni de l’inviolabilité diplomatiques.

DOCUMENT 12 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Agnès Cerf-Hollender, L’évolution du champ des immunités familiales en matière pénale, LPA 8 sept. 2017, n° 129k3, p. 56

L’attitude du droit pénal vis-à-vis de la famille et plus spécialement de la solidarité familiale est aujourd’hui multiforme, voire ambiguë, oscillant entre répression et exclusion. D’un côté, sont incriminés divers manquements aux devoirs familiaux, on pense notamment aux délits d’abandon de famille et de non-représentation d’enfant qui sanctionnent les membres de la famille cherchant à se soustraire à leurs obligations. De l’autre, à l’inverse, le lien de parenté ou d’alliance est parfois pris en compte pour exclure l’application du droit pénal, par le biais des immunités familiales. Ces immunités sont anciennes. On en trouve trace dès le droit romain. Elles ont persisté jusqu’à aujourd’hui, et sont généralement présentées comme se divisant en deux grandes catégories : les immunités d’ordre patrimonial et les immunités d’ordre moral. Les premières concernent certaines infractions contre les biens et sont conçues comme des causes d’’irrecevabilité de l’action publique, soit comme des règles de forme, quoique soumises à la rétroactivité in mitius. Ainsi, ne peuvent donner lieu à des poursuites pénales, le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie, l’abus de confiance, dès lors que le délit est commis au préjudice de certains membres de sa famille. Ces immunités d’ordre patrimonial sont diversement justifiées. Certains auteurs les ont, par le passé, expliquées par une idée de propriété familiale : le bien soustrait n’appartient pas à autrui, mais à la famille. Il est plus unanimement admis aujourd’hui que cette immunité repose sur des raisons sociales : il s’agit de protéger l’honneur de la famille, qui se trouverait affecté si de telles affaires étaient rendues publiques, ainsi que la paix des familles. Les secondes immunités sont considérées comme des causes d’irresponsabilité, soit des règles de fond. Ces immunités reposent sur un devoir de solidarité, d’assistance, qui se manifeste lorsqu’un membre de la famille se trouve confronté à la justice pénale parce qu’il a commis une infraction. Sont concernées des infractions qualifiées d’entraves à la saisine ou à l’exercice de la justice pénale par le Code pénal : la non- dénonciation de crime aux autorités judiciaires ou administratives, le recel de criminel ou de terroriste, l’omission de témoigner en faveur d’un innocent. À l’époque où existait encore le service militaire obligatoire, une immunité familiale était aussi prévue pour le délit de recel d’insoumis. En 1996, a été instaurée une immunité pour le délit dit de « solidarité » de l’article L. 622-1 du CESEDA, délit qui consiste à apporter une aide directe ou indirecte, ou à faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France. Curieusement, l’article L. 622-4 du CESEDA pose une cause d’irrecevabilité de l’action publique, comme les immunités d’ordre patrimonial, alors que les autres immunités familiales d’ordre moral sont conçues comme des causes d’irresponsabilité. Au-delà du droit, l’irresponsabilité pénale a ici un fondement éthique : la loi ne peut pas exiger la délation entre membres de la famille, par exemple, imposer à une mère de dénoncer son enfant.

En quelques décennies, la famille a profondément évolué. L’égalité des filiations a été consacrée en droit civil, mais sur ce point, le droit pénal avait été précurseur, les diverses immunités ne distinguant pas, et cela dès le Code pénal de 1810, selon le type de filiation. Par ailleurs, de nouvelles formes de vie conjugale ont vu le jour, tels le pacte civil de solidarité ou le mariage homosexuel. En outre, le respect mutuel entre membres de la famille et la protection des personnes sont devenus primordiaux. Il est apparu que la solidarité familiale ne peut pas tout permettre, et que l’immunité doit parfois s’effacer, pour protéger la victime, ou plus largement l’intérêt général. Pour tenir compte de tout cela, le droit pénal des immunités familiales, tant patrimoniales (1) que morales (11) a évolué.

| — L’évolution du champ des immunités familiales d’ordre patrimonial

L’évolution du champ des immunités d’ordre patrimonial s’est faite dans le sens d’un rétrécissement du nombre de ses bénéficiaires, pour se recentrer sur la famille-foyer (A), et d’une exclusion dans certains cas, pour garantir la nécessaire protection de la victime contre le caractère choquant de l’impunité que peut parfois engendrer l’immunité (B).

A — La limitation des bénéficiaires des immunités familiales

L’article 380 du Code pénal de 1810 posait trois catégories de bénéficiaires de l’immunité familiale en matière de vol. La première concernait les époux entre eux, ainsi que les veufs ou veuves quant aux choses ayant appartenu à l’époux décédé. La deuxième s’appliquait aux vols entre descendants et ascendants. Enfin, la loi visait aussi les vols entre alliés au même degré, à condition que la soustraction soit commise pendant le mariage et en dehors d’une période durant laquelle les époux étaient autorisés à vivre séparément. La jurisprudence interprétait strictement la liste des bénéficiaires de l’immunité, excluant notamment les concubins et les anciens époux après le divorce. En revanche, alors que le texte ne visait que le vol, les juges avaient étendu limmunité à d’autres infractions contre les biens, telles que l’’escroquerie, l’abus de confiance, l’extorsion, le chantage et même le recel.

Le Code pénal de 1992 a profondément remanié le droit des immunités familiales, qui trouvent désormais leur siège dans le nouvel article 311-12 du Code pénal visant le vol.

(..)

Même si l’on se trouve dans une situation où l’immunité familiale pourrait s’appliquer, la loi a progressivement prévu des hypothèses dans lesquelles elle est expressément écartée, afin de protéger l’individu contre sa famille.

B — L’exclusion des immunités afin de protéger la personne contre sa famille

C’est avec une loi de circonstance du 23 décembre 1942 qu’apparaît pour la première fois l’idée de protection de la personne contre sa famille, dans le désir d’éviter une impunité choquante liée au jeu de l’immunité familiale. Cette loi, qui n’a jamais été abrogée, écarte l’immunité lorsque la soustraction a été commise pendant que le conjoint (seule l’immunité entre époux est visée) était retenu loin de son pays par circonstance de guerre. Il s’agissait de
protéger celui qui était appelé sous les drapeaux, le prisonnier de guerre ou le déporté. Toutefois, les poursuites ne peuvent être exercées que sur plainte de la victime. Ainsi, seul le pardon de la victime, qui a pu être proposé comme fondement de l’immunité, peut permettre au conjoint d’échapper aux poursuites pénales.

Ensuite, la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs à expressément exclu du champ de l’immunité le vol portant « sur des objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d’un étranger, ou des moyens de paiement ». L’exclusion s’applique aussi à l’extorsion, au chantage, à l’abus de confiance et à l’escroquerie, en raison du renvoi à l’article 311-12 du Code pénal. Selon les travaux parlementaires, cette disposition avait pour finalité de répondre aux situations dans lesquelles un conjoint violent privait son épouse des moyens indispensables à la vie quotidienne, pour l’empêcher de le quitter. Que peut faire en effet une femme battue sans documents d’identité ou moyens de subsistance ? La situation est encore plus délicate lorsque la victime est de nationalité étrangère, car, privée de ses titres de séjour, elle se retrouve en situation irrégulière. De nouveau, on retrouve le désir de protéger la personne contre la famille. La lettre du texte, qui ne se réfère pas expressément aux bénéficiaires de l’immunité, mais seulement à l’objet de l’infraction, a permis à la jurisprudence d’exclure l’immunité bien au-delà de l’esprit de la loi et des violences faites aux femmes. Ainsi, égalité des sexes oblige, l’immunité est écartée lorsque l’épouse escroque son mari par utilisation de sa carte bancaire peu de temps avant de quitter le domicile conjugal. De même, l’exclusion de limmunité peut concerner les infractions entre ascendant et descendant.

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Les immunités d’ordre patrimonial ne sont pas les seules à avoir évolué avec le temps. Les immunités d’ordre moral ont elles aussi fait l’objet de profonds remaniements.

Il — L’évolution du champ des immunités familiales d’ordre moral

L’évolution des immunités d’ordre moral s’est faite tout autant dans le sens d’une extension (A), pour tenir compte du lien matrimonial, du concubinage et du pacs, que d’une exclusion (B), ici encore afin de protéger les personnes faibles, mais aussi l’ordre public et l’intérêt général.

A — L’extension des immunités familiales aux couples non mariés

Parce que la famille s’est recentrée sur le couple, le législateur a étendu les immunités familiales prévues pour les entraves à la saisine ou l’exercice de la justice (la non-dénonciation de crime, le recel de criminel ou de terroriste, l’omission de témoigner en faveur d’un innocent), ainsi que pour le délit de solidarité du CESEDA, aux concubins et aux partenaires pacsés. Toutefois, l’assimilation n’est pas totale, ce qui peut être regretté.

En ce qui concerne les entraves à la saisine ou à l’exercice de la justice, l’ancien Code pénal faisait bénéficier de l’immunité « les parents ou alliés du criminel jusqu’au quatrième degré inclusivement » de l’auteur ou du complice, ce qui incluait les oncles, tantes, et cousins germains, tant pour le recel de criminel, que pour la non-dénonciation de crime ou le défaut de témoignage en faveur d’un innocent. La jurisprudence, interprétant les textes strictement, excluait toute autre personne, notamment le concubin ou la concubine.

Le Code pénal de 1992 à remanié le champ des immunités, à l’identique pour les trois délits. Désormais, en bénéficient « les parents en ligne directe et leurs conjoints, les frères et sœurs et leurs conjoints », « le conjoint » de l’auteur ou du complice du crime, ainsi que « la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ». Les oncles, tantes et cousins disparaissent, et la grande nouveauté est la prise en compte du concubinage, totalement assimilé au mariage. Compte tenu de la formule utilisée, la loi du 15 décembre 1999 ayant introduit le pacte civil de solidarité en droit français n’a pas jugé utile de modifier les textes : la référence à une vie commune inclut nécessairement le pacs. On note toutefois que l’assimilation entre
le mariage, le concubinage et le pacs n’est pas totale : pour les parents et les frères et sœurs du délinquant, seul le lien matrimonial est encore pris en compte.

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Cela étant, à l’instar de ce qu’il en est pour les immunités d’ordre patrimonial, l’immunité d’ordre moral est elle aussi parfois expressément écartée.

B — L’exclusion des immunités familiales pour protéger les plus faibles et l’intérêt général

L’exclusion du jeu des immunités familiales d’ordre moral se traduit par une primauté donnée par la loi à des valeurs supérieures à la solidarité familiale, qui s’efface devant la nécessaire protection des plus faibles, à savoir les mineurs et les personnes vulnérables, et de l’ordre public.

La protection des plus faibles contre les immunités familiales se traduit aujourd’hui de deux manières : l’exclusion expresse de l’immunité familiale pour la non-dénonciation de crime commis sur un mineur, et l’existence d’un délit spécifique, non assorti d’immunité familiale. Est ainsi instaurée une obligation de dénonciation, y compris entre membres de la famille, que seul le secret professionnel permet d’écarter.

Le premier texte à prendre en compte la protection des enfants fut la loi n° 54-411 du 13 avril 1954, qui avait exclu de l’immunité la non-dénonciation de crimes commis sur les mineurs de quinze ans. Il a ensuite fallu attendre la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance pour que l’exclusion joue quel que soit l’âge du mineur. Cela étant, entre ces deux dates, le législateur avait imaginé un autre moyen, plus radical, pour obliger à dénoncer certains actes commis à l’encontre des enfants. La loi n° 71-446 du 15 juin 1971 avait institué un délit spécifique de non-dénonciation de sévices ou privations infligés à un mineur de 15 ans. L’intérêt de ce texte était double : d’une part, les actes concernés pouvaient être, selon les cas, soit criminels, soit correctionnels, d’autre part, aucune immunité familiale n’était prévue : « le législateur a cherché à briser, ici, la conspiration du silence, qui entoure souvent les infractions dont sont victimes les mineurs ». Le Code pénal de 1992 à repris ce délit à l’article 434-3, en lui apportant deux améliorations notables. Tout d’abord, le délit concerne désormais, outre les privations, les « mauvais traitements », ce qui est plus large que « les sévices » visés par l’ancien texte. Ensuite, le délit s’applique aussi à la non-dénonciation des mêmes faits commis à l’encontre d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou
d’un état de grossesse. Par la suite, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 a étendu le délit à la non- dénonciation d’atteintes sexuelles commises sur les mêmes victimes. Cela étant, la jurisprudence considérait déjà à juste titre que les atteintes sexuelles sont une variante de mauvais traitements, et que sur ce point la loi n’était qu’interprétative. La dernière touche à cette protection des mineurs vient de la loi relative à la protection de l’enfant du 14 mars 2016, qui inclut la non-dénonciation d’agression sexuelle sur les mêmes personnes, et l’incrimine quel que soit l’âge du mineur.

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Outre la protection des mineurs et des personnes vulnérables, c’est aussi l’ordre public et l’intérêt général qui justifient l’exclusion de certaines immunités familiales. Ainsi, depuis la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 limmunité prévue par l’article L. 622-4 du CESEDA pour le délit de solidarité ne s’applique plus « lorsque l’étranger bénéficiaire de l’aide au séjour irrégulier vit en état de polygamie ou lorsque cet étranger est le conjoint d’une personne polygame résidant en France avec le premier conjoint ». La monogamie est en effet une règle d’ordre public. De plus, depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, l’immunité familiale attachée à la non-dénonciation de crime ne joue plus si le crime concerné est une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme. Il a été souligné que « l’immunité familiale n’a pas à être maintenue dans des cas aussi graves, les proches connaissant souvent de précieuses informations pouvant sauver des vies ».

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DOCUMENT 13 : Extraits de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Al- Adsani c. Royaume-Uni, 21 novembre 2001

52. Dans l’affaire Golder, la Cour a dit que les garanties procédurales énoncées à l’article 6 concernant l’équité, la publicité et la célérité seraient dépourvues de sens si le préalable à la jouissance de ces garanties, à savoir l’accès à un tribunal, n’était pas protégé. Elle l’a établi comme élément inhérent aux garanties consacrées à l’article 6 en se référant aux principes de la prééminence du droit et de l’absence d’arbitraire qui sous-tendent la majeure partie de la Convention. L’article 6 $ 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil (arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A no 18, pp. 13-18, $$ 28-36).

53. Le droit d’accès aux tribunaux n’est toutefois pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l’article 6 $ 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, & 59, CEDH 1999-I).

54. La Cour doit d’abord rechercher si la limitation poursuivait un but légitime. Elle note à cet égard que l’immunité des Etats souverains est un concept de droit international, issu du principe par in parem non habet imperium, en vertu duquel un Etat ne peut être soumis à la juridiction d’un autre Etat. La Cour estime que l’octroi de l’immunité souveraine à un Etat dans une procédure civile poursuit le but légitime d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats grâce au respect de la souveraineté d’un autre Etat.

55. La Cour doit déterminer ensuite si la restriction était proportionnée au but poursuivi. Elle rappelle que la Convention doit s’interpréter à la lumière des principes énoncés par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, qui dispose en son article 31 $ 3 c) qu’il faut tenir compte de « toute règle de droit international applicable aux relations entre les parties ». La Convention, y compris son article 6, ne saurait s’interpréter dans le vide. La Cour ne doit pas perdre de vue le caractère spécifique de traité de garantie collective des droits de l’homme que revêt la Convention et elle doit tenir compte des principes pertinents du droit international (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Loizidou c. Turquie (fond) du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2231, $ 43). La Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles de droit international, dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux Etats.

56. On ne peut dès lors de façon générale considérer comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article 6 $ 1 des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des règles de droit international généralement reconnues en matière d’immunité des Etats. De même que le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un exemple dans les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des Etats.

DOCUMENT 14 : Extraits de l’ouvrage de MM. Malaurie, Aynès et Stoffel-Munck, Droit des obligations, 11e éd., 2020, n° 105

105. Immunité du préposé. — Par un arrêt Costedoat, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a décidé que le préposé jouissait, malgré sa faute, d’une immunité dès lors qu’il était resté dans les limites de sa mission.

La jurisprudence ultérieure a limité la portée de ce principe nouveau. D’une part, en affirmant que cette immunité lui était personnelle et ne bénéficiait donc pas à son assureur de responsabilité. D’autre part, et surtout, en admettant que le préposé demeurait personnellement responsable s’il avait eu l’intention de commettre une infraction, « füt-ce sur l’ordre du commettant ».

Si limmunité du préposé cède, la victime a le choix : agir contre le commettant ou contre le préposé, ou contre les deux, car le préposé peut sortir des limites de sa mission sans pour autant commettre un abus de fonction. Si elle décide d’agir contre le commettant seul, celui-ci pourra exercer un recours contre son préposé, soit par voie subrogatoire soit, exceptionnellement, à titre personnel. Si elle décide d’agir contre le seul préposé, celui-ci risque de supporter seul la totalité de la condamnation car il ne dispose d’aucun recours particulier en contribution contre son commettant.

Quand le préposé est lui-même victime du dommage qu’il a causé, sa faute lui est opposable pour modérer voire exclure son indemnisation. Son immunité est sans effet à cet égard.

DOCUMENT 15 : Compte-rendu de l’arrêt de la chambre criminelle du 19 décembre 2012 (n° 12-81043) par Madame Catherine Berlaud, Gaz. Pal. 24 janv. 2013, n° 114w2

Une association porte plainte et se constitue partie civile, contre personne non dénommée, du chef de favoritisme, contestant la légalité d’une convention de prestation de services signée par le directeur de cabinet du Président de la République, cette plainte s’appuyant sur le contenu d’un rapport public de la Cour des comptes relatif au contrôle des comptes et de la gestion de la présidence de la République.

Ne justifie pas sa décision la chambre de l’instruction qui réforme l’ordonnance du juge d’instruction écartant les réquisitions du procureur de la République tendant à l’irrecevabilité de toute poursuite des faits dénoncés en raison du statut pénal du chef de l’État, et dit n’y avoir lieu à informer, alors que d’une part, aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle ne prévoit l’immunité ou l’irresponsabilité pénale des membres du cabinet du Président de la République, d’autre part, le juge d’instruction a l’obligation d’informer sur tous les faits résultant de la plainte et des pièces y analysées, sous toutes leurs qualifications possibles, sans s’en tenir à celle proposée par la partie civile.

DOCUMENT 16 : Extraits de l’article « Le Conseil constitutionnel retoque le texte sur la protection des sources des journalistes », Journal Le Point, 10 novembre 2016

Le Conseil constitutionnel a validé jeudi la loi sur l’indépendance et le pluralisme des médias mais a retoqué un article phare sur la protection du secret des sources des journalistes, estimant notamment que l’immunité pénale qu’il instituait était trop large.

Adoptée début octobre, cette loi portée par le député PS Patrick Bloche reprenait l’un des engagements du candidat François Hollande, le renforcement de la protection du secret des sources des journalistes.

Dans sa décision, le Conseil a considéré “que le législateur n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, la liberté d’expression et de communication” et “d’autre part, plusieurs autres exigences constitutionnelles, en particulier le droit au respect de la vie privée, le secret des correspondances, la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et la recherche des auteurs d’infraction.”

La ministre de la Culture, Audrey Azoulay, a regretté “que les avancées importantes que comportait le texte sur la protection des sources des journalistes, dispositif fondamental pour leurs capacités d’investigation, aient été jugées contraires à la Constitution”.

L’article 4 censuré jeudi par le Conseil constitutionnel, “interdisait qu’il soit porté atteinte au secret des sources pour la répression d’un délit, quels que soient sa gravité, les circonstances de sa commission, les intérêts protégés ou l’impératif prépondérant d’intérêt public qui s’attache à cette répression”, rappelle le Conseil dans sa décision.

Dans le même temps, “l’immunité pénale qu’il instituait était trop largement définie” car “l’ensemble des collaborateurs de la rédaction (..) étaient protégés par cette immunité”,
direction et collaborateurs (pigistes) compris, relève la décision.

L’article interdisait également les poursuites pour recel de violation du secret professionnel et pour atteinte à l’intimité de la vie privée, “délits pourtant punis de cinq ans d’emprisonnement et visant à réprimer des comportements portant atteinte au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances”, souligne le Conseil.

Il interdisait aussi les poursuites pour recel de violation du secret de l’enquête et de l’instruction, “délit puni de la même peine et protégeant la présomption d’innocence et la recherche des auteurs d’infraction” poursuit le Conseil.

Cette décision “est une très mauvaise nouvelle pour tous les journalistes qui travaillent sur des affaires sensibles”, à réagi sur Twitter le président de Reporters sans frontières, Christophe Deloire.

Pour Dominique Pradalié du SNJ, cette censure est au contraire une “excellente nouvelle”. “La loi Bloche est une mauvaise réponse à de bonnes questions”, a estimé la secrétaire générale du premier syndicat de journalistes, qui aurait notamment voulu “une loi anticoncentration, qui aurait pu être utile dans des cas comme celui d’iTELE”.

Le Conseil constitutionnel rappelle que la protection du secret des sources des journalistes reste assurée par la loi Dati de 2010.

DOCUMENT 17 : Extraits du fascicule « Responsabilité pénale en cascade dans la presse écrite et l’édition » par Monsieur Jérôme Bossan, J.-CI. Communication

77.- Principe : immunité pénale de l’imprimeur — L’article 43 de la loi du 29 juillet 1881 indique que le mécanisme de droit commun ne saurait s’appliquer aux imprimeurs qui ne peuvent être poursuivis en tant que complice “pour faits d’impression” dans la mesure où le directeur ou codirecteur de la publication ou l’éditeur ont été identifiés. Cette disposition a pour but de préserver la liberté de presse et d’impression et d’éviter que les imprimeurs ne procèdent à une censure (P. Auvret, La détermination des personnes responsables, op. cit.). L’impunité est donc totale en principe même si l’imprimeur connaissait l’existence du caractère illicite de la publication. L’essentiel, pour lui, est donc de s’assurer que le responsable de premier rang est désigné et qu’il ne peut être poursuivi sur le plan pénal ni en tant qu’auteur, ni en tant que complice de l’auteur de l’écrit. En revanche, il a été jugé que cette immunité n’avait pas d’effet en matière de responsabilité civile (Cass. req., 22 févr. 1875 : DP 1875, 1, jurispr. p. 324. — sur cette immunité, V. J. Boucheron, La protection de l’ouvrage de presse en droit pénal, La chambre criminelle et sa jurisprudence, recueil d’études en hommage à la mémoire de Maurice Patin : Cujas, 1966, p. 368 et 369).

78. — Faits d’impression — Le fait d’impression est la simple mise à disposition du matériel de presse (sur cette notion, V. H. Blin, À Chavanne et R. Drago, Traité du droit de la presse : éd. Librairies techniques, 1969, n° 284). Dans la mesure où l’imprimeur sort de son rôle, l’immunité disparaît. Il peut être poursuivi en tant que complice s’il est auteur de l’écrit ou diffuseur (Cass. crim., 12 juin 1954 : Bull. crim. 1954, n° 212) et que le directeur de publication est poursuivi à titre principal. Il peut également voir sa responsabilité recherchée au regard du mécanisme de droit commun (C. pén., art. 121-7) notamment s’il a fourni l’aide ou l’assistance ou les
instructions caractérisant la complicité (Cass. crim., 11 juill. 1903 : Bull. crim. 1903, n° 261).

DOCUMENT 18 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Immunités » du Répertoire Dalloz de droit international, rédigé par Madame Catherine Kessedjian

1. Notion. – Le terme « immunité » est né à la fin du XIlle siècle. Il à pour origine le latin immunitas, de munus « charge », et signifie « exemption de charge ». À l’origine, dans cette acception d’exemption de charge, l’immunité est accordée aux personnes de la noblesse ou du clergé ou à certains propriétaires ou établissements ecclésiastiques par le roi et, plus tard, par la loi. Les immunités royales consistent, la plupart du temps, à interdire les domaines de
ceux qui en bénéficient à l’action des agents royaux. L’immunité est donc attachée à la personne mais elle s’étend à ses biens lorsque la protection de la personne l’exige. C’est une idée similaire qui sous-tend l’immunité parlementaire qui, accordée par la loi, permet aux membres des assemblées législatives d’échapper aux rigueurs de la mise en œuvre de la loi, sauf autorisation spéciale de l’assemblée dont ils font partie.

2. Notion ancienne, l’immunité ne paraît pas avoir été mise en œuvre par les tribunaux en France avant le début du XIXe siècle. Il semble, en effet, que la première décision rendue l’a été par la cour d’appel de Paris en 1825. Ni la décision de 1825 ni celle de 1849 n’utilisent le mot « immunité » mais ceux d’« extraterritorialité » et de « compétence » ou « juridiction ». Le mot « immunité » apparaît pour la première fois dans l’arrêt de la cour d’appel de Nancy, mais, même avant cette date, c’est bien de la même idée qu’il est question. Il s’agit d’empêcher l’interférence d’un État, par le truchement de ses tribunaux, avec les activités d’un autre État et de ses représentants (par in parem non habet imperium). Les États sont indépendants les
uns des autres. Or, la juridiction est l’un des attributs de la souveraineté. Un État ne peut donc exercer sa juridiction vis-à-vis d’un État étranger sans courber, jusqu’à un certain degré, cet État à sa domination. || convient donc de considérer que l’immunité favorise la courtoisie et les bonnes relations entre États grâce au respect de la souveraineté d’un autre État.

(..)

4. Différents types. – C’est, en effet, bien la même idée qui est à l’origine de l’immunité diplomatique bénéficiant aux agents diplomatiques accrédités et aux membres de leur famille pour toutes les infractions qu’ils peuvent commettre sur le territoire de l’État dans lequel ils sont accrédités. Par extension, les immunités consenties aux organisations intergouvernementales procèdent de la même conception. Elle consiste à empêcher qu’un État, un chef d’État ou une organisation internationale soient poursuivis devant une juridiction d’un autre État ; elle est dite alors immunité de juridiction. Elle est complétée par l’immunité d’exécution selon laquelle il est interdit de prendre des mesures d’exécution forcée à l’encontre d’un État ou d’une entité ou de leurs biens.

5. C’est toujours en raison de la qualité de la personne ou de l’entité que l’immunité est accordée. Toutefois, les immunités diplomatiques sont dites « fonctionnelles » dans la mesure où les personnes qui sont en droit de les revendiquer ne peuvent le faire qu’en raison des fonctions qui, de par leur nature, leur permettent de bénéficier de l’immunité. C’est, en effet, pour empêcher une interférence abusive de l’État dans lequel ils exercent leurs fonctions, que les diplomates étrangers bénéficient de la protection de l’immunité. Certes, certaines immunités, par exemple pour des actes de la vie personnelle et familiale, dépassent le strict cadre des fonctions. Mais, c’est toujours pour protéger le diplomate et ses fonctions que ces
immunités lui sont accordées sachant qu’un procès, même s’il est personnel, peut avoir une influence sur l’exercice de leur fonction.

6. Quant aux immunités des organisations internationales, elles peuvent également revêtir cette qualification dans la mesure où elles ne sont pas générales mais spécifiquement prévues par les traités les instituant qui comportent les limites strictement nécessaires à l’objectif poursuivi par l’organisation à laquelle l’immunité est accordée.

(..)
Art. 1 : Immunités de juridiction

$ 7er – Personnes et entités bénéficiant de l’immunité (définition ratione personae)

(..)

41. En droit français, comme dans bien d’autres systèmes juridiques, il est classique de s’interroger sur les personnes bénéficiant de l’immunité.

(..)

42. L’État. – On doit comprendre par État non seulement l’entité elle-même, telle que représentée par les personnes et les organes habilités à cet effet, mais aussi les services centraux, les organismes publics et les institutions qui dépendent de ces services centraux. Le juge doit se placer au moment de l’assignation en justice.

(..)

46. Les émanations de l’État, entreprises publiques, banques centrales. – Peuvent revendiquer l’immunité de juridiction les organismes agissant sur ordre ou pour le compte de l’État. Cela signifie que loin de s’intéresser seulement à la personnalité de l’organisme en cause, il convient de s’interroger sur la nature de l’activité accomplie par lui.

(..)

52. Les chefs d’État et de gouvernement. – Les chefs d’État, de gouvernement possèdent deux sortes d’immunités : les unes personnelles en raison de mises en cause individuelles ; les autres étatiques lorsque leur mise en cause a trait à leurs fonctions représentatives de l’État. Les secondes étant dues à la fonction qu’exerce le chef de l’État, elles sont donc limitées aux activités exercées par le chef de l’État dans le cadre de ses fonctions. Cependant les immunités personnelles dont ils bénéficient peuvent s’appliquer également à des activités qui sont en dehors des fonctions officielles. Ces dernières immunités ne sont pas des immunités d’État ce qui explique que les différents projets de traités, préparés par la Commission du droit
international des Nations unies ou l’Association de droit international, séparent les deux sortes d’immunités. Lorsque les activités entreprises sont personnelles, la frontière entre celles qui permettent l’immunité et celles qui ne l’autorisent pas n’est pas aisée à tracer.

(..)

55. Les ministres en exercice. – À notre connaissance, les juridictions françaises n’ont pas eu à se prononcer sur l’hypothèse d’une immunité revendiquée par un ministre en exercice, mais ont eu à se prononcer sur l’immunité revendiquée par un vice-président de la Guinée équatoriale. La Cour de cassation décide que les faits reprochés sont détachables de la fonction et sont, de toute manière, antérieurs à la nomination au poste de second vice-
président. En conséquence, l’immunité n’est pas due.

(..)

56. Le personnel diplomatique. – Les personnes qui peuvent bénéficier de ces immunités sont définies dans les conventions applicables. Il convient d’entendre par « personnel diplomatique », celui qui est en mission « officielle », c’est-à-dire le chef de mission et les membres de la mission à condition qu’ils aient la qualité de diplomate et qu’ils soient accrédités dans l’État d’accueil.

(..)

61. Les agents consulaires. – Les agents consulaires se voient accorder une immunité moins importante que celle accordée aux agents diplomatiques. Cela tient au fait qu’ils ne représentent pas l’État étranger et ne font pas l’objet d’une procédure d’accréditation. Leurs fonctions, par ailleurs, ne mettent normalement pas en cause les intérêts de l’État étranger puisqu’elles se bornent à protéger les intérêts privés des nationaux de cet État dans l’État d’accueil.

(..)

62. Organisations intergouvernementales. – Contrairement au droit des immunités des États, l’essentiel du droit des immunités des organisations internationales s’est développé sous la forme de traités internationaux. C’est ainsi que l’on trouve des dispositions soit dans la charte constitutive de l’organition en cause, soit dans des conventions multilatérales particulières portant généralement sur les privilèges et immunités, soit encore dans les conventions dites « accord de siège ».

(..)

2 – Activités pour lesquelles l’immunité est admise ou rejetée (définition ratione materiae)

70. Activités publiques. – Les juridictions françaises n’ont pas été parfaitement constantes dans leur approche de la notion d’activités pour lesquelles l’État étranger est en droit de demander le bénéfice de l’immunité de juridiction. C’est un arrêt de la Cour de cassation de 1969 qui a posé le principe d’un critère alternatif. Soit l’État étranger où l’organisme en cause agissant par ordre ou pour le compte de cet État entreprend un acte de puissance publique, soit il agit dans l’intérêt d’un service public.

(..)

88. Activités « commerciales ». – Il est parfois plus aisé de déterminer si l’activité en cause doit être qualifiée d’acte de gestion que de déterminer si elle relève d’une activité publique. Certaines juridictions accumulent les critères pour déterminer si l’activité en cause permet à l’État de bénéficier de l’immunité de juridiction. C’est le cas lorsque la nature économique du contrat, l’absence de clauses exorbitantes du droit commun et l’insertion d’une clause compromissoire conduisent les juges à conclure que l’État s’est comporté comme une personne privée.

(..)

90. Cas particulier du contrat de travail. – Les affaires jugées devant les tribunaux français ont essentiellement concerné des licenciements de membres du personnel salarié employés d’ambassades d’États étrangers en France ou de consulats étrangers. Un agent de sécurité, qui doit assurer la sécurité de l’ambassadeur et de l’ambassade, participe à un service public et l’immunité est donc due, même si son contrat de travail verbal ne contenait aucune clause dérogatoire du droit commun ou impliquant l’existence de prérogatives de puissance publique sur le territoire français.

(..….)
Art. 2 – Immunité d’exécution

122. L’immunité d’exécution doit être distinguée de l’immunité de juridiction par plusieurs aspects. Tout d’abord, parce qu’elle est considérée comme beaucoup plus grave que l’ immunité de juridiction, cette immunité demeure en principe absolue. Ce n’est donc que dans certains cas exceptionnels qu’elle peut être remise en cause. La Convention des Nations unies de 2005 ne modifie pas cette tendance générale. Cela n’est vrai que pour les États eux- mêmes et leurs représentants. Pour les entreprises publiques et autres entités assimilées, il est plus aisé de lever l’immunité d’exécution que pour les États. Ensuite, la renonciation à l’immunité de juridiction n’entraîne pas automatiquement renonciation à l’immunité d’exécution, cette dernière devant être donnée dans des conditions qui ont fluctué au gré de la jurisprudence. Si à l’instar de l’immunité de juridiction, le juge doit se préoccuper de l’activité pour laquelle le défendeur est attrait devant lui, il doit, en plus, s’intéresser à la nature des biens objets de l’exécution. Enfin, la renonciation éventuelle à l’immunité d’exécution est séparée de la renonciation à l’immunité de juridiction et doit être conforme au droit international.

(..)

137. Les apports de la loi Sapin Il. – C’est notamment cet arrêt qui a incité le gouvernement français à insérer deux dispositions dans la loi Sapin Il (art. 59 et 60. — L. no 2016-1691 du 9 déc. 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, JO 10 déc., texte no 2) qui ont positivement passé le contrôle du Conseil constitutionnel. L’article 59 insère dans le code des procédures civiles d’exécution trois articles L. 111-1-1 à L. 111-1-3. L’article L. 111-1-1 prévoit qu’une autorisation préalable d’un juge est nécessaire pour mettre en œuvre des mesures conservatoires ou d’exécution forcée sur un bien appartenant à un État étranger. En vertu de l’article L. 111-1-2, cette autorisation peut être accordée si l’État a expressément consenti à l’application d’une telle mesure ou s’il a réservé ou affecté ce bien à la satisfaction de la demande objet de la procédure. Elle peut également l’être si un jugement où une sentence arbitrale a été rendu contre cet État, que le bien est destiné à être utilisé autrement qu’à des fins de service public non commerciales et qu’il « entretient un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée ». L’article L. 111-1-3 dispose que des mesures conservatoires ou d’exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre, en l’absence de renonciation expresse et spéciale des États concernés, sur les biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique des États étrangers où de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales.

(..)

146. Renonciation à l’immunité d’exécution. – Jusqu’à l’arrêt « Creighton », il était admis que limmunité d’exécution étant absolue, sauf rares exceptions, la renonciation devait être entourée de plus de précautions encore que pour l’immunité de juridiction. C’est pourquoi, durant de nombreuses années, la jurisprudence a exigé que la renonciation soit expresse et spéciale. En d’autres termes, le juge français devait s’assurer que l’État avait effectivement exprimé clairement sa volonté de ne plus être protégé par l’immunité d’exécution. Cette exigence empêchait notamment de déduire une renonciation à l’immunité d’exécution de la renonciation à l’immunité de juridiction. Cette exigence entraînait l’obligation pour le juge français de vérifier la portée de la renonciation invoquée séparément pour les deux immunités.

147. Le caractère spécial de la renonciation. – En exigeant que, par sa renonciation, l’État étranger précise particulièrement les biens qu’il entendait soustraire à l’immunité d’exécution, le droit français protégeait l’État étranger éventuellement au-delà de ce qu’il aurait lui-même voulu. Les arrêts NML Capital c/ Argentine sont dans cette ligne. Pour justifier cette exigence, on a pu estimer, un temps, que le droit international coutumier et la codification qui en a été faite par la Convention des Nations unies de 2005 n’admettaient pas que l’État renonce de manière générale et abstraite à son immunité d’exécution sans désigner spécifiquement les biens sur lesquels la renonciation pouvait avoir effet. Pourtant, le texte de la Convention de
2005 est clair. Soit l’État renonce de manière générale expressément selon trois formes limitativement énumérées par le texte (art. 19. a); soit l’État vise certains biens en les réservant ou les affectant (art. 19. b); soit les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État autrement qu’à des fins de service public non commerciales (art. 19. c). C’est pourquoi, la Cour de cassation a eu raison d’abandonner l’exigence d’une renonciation spéciale en jugeant que « le droit international n’exige pas de renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution » (Civ. 1re, 13 mai 2015, Commisimpex c/ République du Congo, no 13-17.751).

(..)

DOCUMENT 19 : Article 67 de la Constitution française

Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

DOCUMENT 20 : Extraits (sans notes de bas de page) du fascicule « Terrorisme — Poursuites et indemnisation — Procédure interne » du Répertoire Dalloz de droit pénal, rédigé par Monsieur Yves Mayaud

Art. 3 – Immunité de juridiction

397. Définition. – L’immunité de juridiction est un privilège dont bénéficient les hauts responsables politiques, chefs d’État ou membres de gouvernement, en vertu duquel ils ne peuvent être déférés devant les juridictions d’un État étranger, ni en matière pénale ni en matière civile. Cela ne signifie pas qu’ils soient irresponsables : le fond n’est pas en cause, seule la compétence est affectée. Au service de la souveraineté, l’immunité met ses bénéficiaires à l’abri de toute action devant des juridictions étrangères, ce qui est une situation confortable et enviable, mais ce qui n’est pas non plus sans être fortement débattu de nos jours, pour consacrer une solution de moins en moins acceptée, surtout lorsque les faits sont d’une particulière gravité. Ce « privilège » trouve sa source dans la coutume internationale et il ne doit pas être confondu avec ce qui participe plus étroitement des relations diplomatiques ou consulaires, quant à elles régies par deux conventions, dites « Conventions de Vienne », du 18 avril 1961 pour les premières, et du 24 avril 1963 pour les secondes.

398. Étendue. – L’immunité doit être doublement précisée dans son étendue, en rapport avec les personnes pouvant y prétendre et en lien avec les actes qu’elle couvre de ses effets.

$ 1er – Personnes protégées

399. Jurisprudence internationale. – La Cour internationale de justice a eu l’opportunité de prendre position sur l’étendue personnelle de l’immunité de juridiction. Elle l’a fait par une décision du 14 février 2002, en rapport avec l’affaire Yerodia, jugeant qu’« il est clairement établi en droit international que […] certaines personnes occupant un rang élevé dans l’État, telles que le chef du gouvernement ou le ministre des Affaires étrangères, jouissent dans les autres États d’immunités, tant civiles que pénales » ($ 51).

(..)

401. Jurisprudence interne. – La jurisprudence française de référence est celle de la Cour de cassation, plus spécialement de sa chambre criminelle. Une formule domine, empruntée à un arrêt du 23 novembre 2004, et plusieurs fois confirmée depuis : « La coutume internationale qui s’oppose à la poursuite des États devant les juridictions pénales d’un État étranger s’étend aux organes et entités qui constituent l’émanation de l’État ainsi qu’à leurs agents en raison d’actes qui, comme en l’espèce, relèvent de la souveraineté de l’État concerné ».

(…) La Cour de cassation est ainsi dans le droit fil de la jurisprudence internationale, telle que nous l’avons rapportée sous couvert des arrêts de la Cour internationale de justice. Elle admet, elle aussi, que l’immunité de juridiction, et l’exception d’irrecevabilité qui en découle, ne saurait être réservée à des personnalités qualifiées relevant d’une liste exhaustive et définitivement fermée : chef d’État, chef de gouvernement, ministre des Affaires étrangères. C’est autrement qu’elle est conçue, tout ce qui participe de la souveraineté étrangère ayant vocation à la rejoindre, pour en assurer la plénitude, laquelle ne pourrait être dans un système figé, alors que les réalités étatiques sont diversifiées et évolutives.

(..….)
& 2 – Actes couverts

403. Actes de souveraineté. – Sont couverts par l’immunité de juridiction les seuls actes de puissance publique ou accomplis dans l’intérêt d’un service public. La Cour de cassation est très explicite sur cette condition : « Les États étrangers et les organisations qui en constituent l’émanation ne bénéficient de l immunité de juridiction, immunité relative et non absolue, qu’autant que l’acte qui donne lieu au litige ou qui leur est imputé à faute participe, par sa nature et sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de ces États et n’est donc pas un acte de gestion ».

(..)

404. Limites tirées du jus cogens. – L’immunité de juridiction génère de plus en plus des réactions négatives, pour être regardée comme une inégalité devant la responsabilité pénale et un facteur d’impunité d’autant plus contestable que les faits sont graves. C’est précisément en rapport avec ce que certaines infractions, le plus souvent de qualification criminelle, manifestent d’agressions et d’atteintes intolérables, que l’immunité est remise en cause. Il est volontiers proposé de ne pas en faire un absolu, acquis sur la personnalité de haut rang de ceux qui l’invoquent, mais une exception nourrie de relativité, fonction des crimes ou des délits commis, avec possibilité d’en restreindre l’étendue toutes les fois que l’acte de souveraineté
revendiqué se révèle incompatible avec ce qui ne saurait être admis au sens du droit international lui-même, du jus cogens.

405. La Chambre des Lords a été l’une des premières à intervenir sur le sujet, après que l’Espagne eut réclamé au Royaume-Uni, sur le fondement de la compétence universelle, l’extradition du général PINOCHET, de passage à Londres, pour des crimes de tortures réputés commis alors qu’il était au pouvoir. L’immunité de juridiction fut invoquée, et deux arrêts furent rendus par la juridiction britannique, l’un le 25 novembre 1998, l’autre le 24 mars 1999, qui ont finalement concédé, à la faveur d’une démonstration technique pour le second, à ce que certains actes, de par leur nature même, ne pussent relever de la catégorie de ceux entrant dans les fonctions officielles d’un chef d’État, au premier rang desquels les violations graves des droits humains.

406. Situation du terrorisme. – La Cour de cassation a pris position dans l’arrêt dit « Khadafi » du 13 mars 2001, en lien avec l’attentat commis le 19 septembre 1989 contre un avion DC 10 de la compagnie UTA, lequel, en explosant au-dessus du Niger, avait causé la mort de 170 personnes, plusieurs d’entre elles étant de nationalité française. Le chef d’État en exercice de la Jamahiriya arabe libyenne, le colonel KADHAFI, avait été mis en cause pour son implication dans cette action terroriste. La chambre criminelle a adhéré au principe de limites affectant l’immunité, tout en constatant qu’elles ne concernaient pas les faits de l’espèce : « En l’état du droit international, le crime dénoncé, quelle qu’en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des chefs d’État étrangers en exercice ». Comme l’écrit Mme Renée Koering-Joulin, « à l’imitation de la Chambre des Lords dans le second arrêt Pinochet, la chambre criminelle a ouvert une brèche dans l’absolutisme de la protection immunitaire des chefs d’État en exercice soupçonnés de crimes internationaux graves, tout en affirmant que le terrorisme ne relève pas de cette catégorie, au moins pour l’instant… ». Aussi curieux que cela puisse paraître, le terrorisme est donc couvert par l’immunité de juridiction, bien qu’il soit difficile d’y voir une prérogative de souveraineté ou un acte ordinaire de gestion souveraine…

407. Il y a fort à parier que l’évolution n’en est pas encore à sa phase terminale, et que, tôt ou tard, à l’instar des statuts des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (1993) et le Rwanda (1996), ainsi que celui de la Cour pénale internationale (1998), sera exclu du champ de l’immunité tout ce qui participe de la violation grave des droits fondamentaux, dont les actions terroristes.

DOCUMENT 21 : Extraits (sans notes de bas de page) de l’article de Madame Gaëlle Deharo-Dalbignat, « Délicatesse et modération : l’immunité de robe ne couvre pas les propos tenus par l’avocat hors de l’audience », Gaz. Pal. 17 avr. 2012, p. 20

À l’issue du prononcé d’une solution défavorable à son client, un avocat manifesta sa déception ab irato, exprimant son opinion quant à la décision du jury en termes fort peu élogieux.

(..)

Selon l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, l’avocat est protégé tant des propos outrageants à son encontre que de ceux qu’il pourrait tenir. Ainsi « ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ». Si, au cours de l’audience, l’avocat est libre de s’exprimer dans le cadre de l’exercice des droits de la défense, l’immunité de robe cesse cependant au sortir de celle-ci. Or, en l’espèce, l’avocat avait répondu aux questions des journalistes à l’issue de l’audience ; si bien que les mots avaient été prononcés hors du prétoire et n’étaient donc pas protégés par l’immunité de robe. Il en résulte
que les propos de l’avocat pouvaient donc être considérés comme méconnaissant les obligations de délicatesse et de modération, dans les conditions précisées par la jurisprudence antérieure.

(..)

La solution vient compléter les linéaments déjà posés par les décisions antérieures. Bien qu’elle ait considéré que la règle de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 est générale et s’applique devant toutes les juridictions, d’instruction comme de jugement, elle n’en nuance pas moins la portée. D’une part, l’immunité de robe ne s’applique pas aux propos étrangers à la cause. D’autre part, elle ne s’applique pas non plus à l’instance disciplinaire statuant sur les propos tenus par l’avocat. Enfin, au terme de l’espèce rapportée, l’immunité de robe est d’interprétation stricte et ne s’applique pas hors du prétoire.

DOCUMENT 22 : Extraits de l’article « Agressions sexuelles présumées : le Vatican lève l’immunité de son représentant en France », Journal Le Monde, 8 juillet 2019

La décision est historique. « Une mesure extraordinaire », selon le Saint-Siège. Lundi 8 juillet, le Vatican a levé l’immunité de son représentant en France, le nonce apostolique Luigi Ventura, qui était visé par une enquête à Paris pour « agressions sexuelles » après les plaintes de quatre hommes, dont trois au moins lui reprochent des attouchements.

«Le Saint-Siège renonce à limmunité de juridiction dont bénéficie Mgr Luigi Ventura en vertu de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques », a expliqué le porte-parole intérimaire du Saint-Siège, précisant que la décision « a été officiellement communiquée aux autorités françaises la semaine dernière ». Le communiqué explique qu’« il s’agit d’une mesure extraordinaire qui confirme la volonté exprimée par le nonce lui-même dès le début de cette affaire de collaborer pleinement et spontanément » avec la justice française.

DOCUMENT 23 : Extraits de la tribune de Monsieur Emmanuel Dockès « Pendant la grève, la sanction illicite des actes illicites », Journal Libération, 4 février 2020

La grève est non seulement la cessation du travail, mais c’est aussi la cessation de la subordination. L’obéissance habituelle, quotidienne, cesse. La révolte commence. Dans tous les systèmes démocratiques, où règne la légitime crainte d’un pouvoir sans contre-pouvoir, cette révolte est un droit. Mais c’est un droit atypique, un droit de briser la paix à laquelle chacun aspire. Un droit de créer une tension, de nuire, et de nuire notamment à celui qu’habituellement on sert. C’est cela qui autorise le gréviste à passer temporairement du statut de rouage du pouvoir au statut de contre-pouvoir. Mais c’est aussi cela qui menace le gréviste. Le puissant dont l’autorité est bafouée ne réagit pas forcément bien. Il est tenté par la répression.

(…) il convient de rappeler à la puissance publique, comme aux puissances privées, quelques règles de droit. Pendant la grève, le droit de punir, le pouvoir disciplinaire, n’est plus ce qu’il est habituellement. Pendant la grève, les habituels subordonnés ne le sont plus. Ils ne sont plus soumis au pouvoir de direction, ni, par conséquent, au pouvoir disciplinaire de leur
employeur. En termes techniques, on dit que le pouvoir disciplinaire est suspendu pendant la grève. Les sanctions disciplinaires pour faits commis au cours des grèves, même fautifs, sont donc, en principe, nulles et les éventuelles commissions disciplinaires incompétentes. Sauf exceptions strictement encadrées, aucune sanction disciplinaire ne peut être édictée contre un gréviste pour des faits commis pendant la grève, même s’il a commis des fautes, même s’il a commis des fautes graves. Et réciproquement, aucun avantage particulier, comme une prime, ne peut être accordé aux salariés non grévistes ès qualités. Il semble nécessaire de le rappeler, notamment la direction de la SNCF, qui semble l’avoir oublié. Les primes antigrève constituent des discriminations sanctionnées par la Cour de cassation (arrêt du 1er juin 2010) si aucun surcroît de travail spécifique ou sujétion n’a pu être prouvé.

Cela ne signifie pas que tout est autorisé au cours des grèves. Ce qui est illégal reste illégal. Simplement, la sanction des fautes commises au cours des grèves n’est plus, en principe, de la compétence de l’employeur. Cette sanction relève du droit commun, du droit de la responsabilité ou du droit pénal. Un gréviste qui a commis un délit au cours de la grève pourra être poursuivi. La victime directe d’une infraction pénale peut porter plainte contre son auteur. Ainsi, un non-gréviste victime d’injures homophobes peut porter plainte contre les auteurs de ces injures (mais non l’employeur de la victime, lequel n’est pas une victime directe).

Il existe une exception au principe de l’immunité disciplinaire des grévistes et une seule. Dans les cas les plus graves, le code du travail prévoit la possibilité du licenciement pour faute lourde (article L2511-1). Le législateur a considéré qu’un employeur ne pouvait être tenu de conserver un gréviste qui avait commis à son encontre une faute intentionnelle et d’une exceptionnelle gravité, autrement dit une « faute lourde ». Et cette exceptionnelle gravité doit être jugée dans le contexte d’insubordination active qu’est la grève. Au cours des grèves, il est banal que les grévistes investissent les locaux de l’entreprise, qu’ils prononcent des injures contre les non- grévistes, etc. Ces faits sont peut-être fautifs mais ils sont habituels. S’ils ne sont pas exceptionnellement graves, ce ne sont pas des « fautes lourdes ». C’est ainsi que la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat ont pu juger, au vu du contexte, que n’étaient pas des fautes lourdes le fait de prononcer des injures, en dehors de toute violence physique (arrêt du 10 mai 2001), d’occuper les locaux (arrêt du 16 mai 1989), de partir avec les camions de l’entreprise
(arrêt du 8 février 2012), de bloquer l’entreprise avec des camions (arrêt du 9 mai 2012), de participer à un piquet de grève filtrant (arrêt du 2 février 1996). (…)