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ANNALE DU CRFPA : NOTE DE SYNTHESE

  • : 2023
  • : 5 heures
  • : 3
  • : 23CRFPA-NS1
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  • : L’épreuve est destinée à apprécier, notamment, les capacités de synthèse du candidat : la limite de quatre pages ne doit pas être dépassée. La qualité rédactionnelle est prise en compte (les déficiences orthographiques et syntaxiques, les impropriétés de termes, l’inélégance de style, les obstacles divers à la lisibilité du texte sont sanctionnés). Un plan apparent (avec des titres concis), dont la structuration est laissée à la libre appréciation du candidat, s’il n’est pas obligatoire, est recommandé. La note de synthèse doit consister en une synthèse objective des éléments du dossier documentaire, et seules les informations contenues dans le dossier peuvent être utilisées. La référence au numéro du document peut s’avérer nécessaire à la bonne compréhension de la synthèse et est recommandée. Une brève introduction est recommandée. Une conclusion n’est pas nécessaire ».

À partir des documents joints, vous établirez une note de synthèse sur le sujet suivant :

LES VIOLENCES CONJUGALES

Liste des documents :

DOCUMENT 1 : C. Hardouin-Le Goff, L’aide universelle, un pas supplémentaire pour l’émancipation des victimes de violences conjugales, JCP G 2023, 374 (extraits)

DOCUMENT 2 : Article D1-11-1 du Code de procédure pénale

DOCUMENT 3 : Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la reconnaissance du terme de « féminicide », par Fiona Lazaar, Députée (enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 18 février 2020) (extraits : proposition de résolution)

DOCUMENT 4 : Article 41-3-1 du Code de procédure pénale

DOCUMENT 5 : Article 132-80 du Code pénal

DOCUMENT 6 : CEDH, 9 juin 2009, Opuz c/ Turquie, n°33401/02 (note d’information sur la jurisprudence de la Cour, extraits)

DOCUMENT 7 : K. Vermès, La lutte contre les violences conjugales : le rôle du parquet, AJ Famille 2023, p. 22

DOCUMENT 8 : Cass. crim., 23 juin 2021, n° 20-84820

DOCUMENT 9 : Circulaire du 9 mai 2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes (extraits)

DOCUMENT 10 : Contre les violences conjugales, l’Espagne à l’avant-garde, Grand Reportage France Culture du Vendredi 22 novembre 2019 : transcription de podcast (extraits) DOCUMENT 11 : A. Tani, Pour une ingratitude matrimoniale, Defrénois 2023, n° 21, p. 25 (extraits) DOCUMENT 12 : Cass. civ. 3e, 20 avr. 2023, n° 22-13036

DOCUMENT 1 : C. Hardouin-Le Goff, L’aide universelle, un pas supplémentaire pour l’émancipation des victimes de violences conjugales, JCP G 2023, 374 (extraits)

La loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales résulte d’un travail consensuel et transpartisan entre le Sénat, l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Complétant et devançant le « pack nouveau départ » annoncé par le Gouvernement, et faisant suite à une expérimentation menée dans le Nord, cette loi dont l’initiative revient au Sénat, à laquelle l’Assemblée nationale a apporté des modifications substantielles, a été votée à l’unanimité par les deux assemblées. Et pour cause, elle répond, sous la forme d’une aide universelle d’urgence, à ce fléau, hélas persistant, des violences conjugales qui, grandes causes des quinquennats du président Macron, continuent pourtant d’augmenter.

Ces violences ont progressé de 20 % en 2021 par rapport à 2020 et en 2022, 147 femmes (auxquelles il conviendrait d’ajouter 18 hommes pour être précis), ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, soit 25 % de plus qu’en 2021. L’analyse des appels au 3919 (plateforme téléphonique d’écoute, d’information et d’orientation des victimes de violences sexistes et sexuelles) montre, en outre, un accroissement des viols conjugaux, des menaces de mort et des tentatives de meurtre. Dès lors, la présente loi, rapidement votée (le texte a été déposé par la sénatrice Valérie Létard le 6 septembre 2022), pose, de manière salutaire et concrète, une nouvelle pierre à l’édifice de lutte contre les violences conjugales. L’objectif est ici d’aider les victimes de violences commises par un conjoint, un concubin ou un partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité à quitter définitivement le domicile commun, à sortir de l’emprise économique pouvant être exercée par le conjoint violent (en particulier pour les femmes au foyer) et à éviter ainsi « les faux départs » qui menacent leur survie (l’annonce de la séparation est reconnue comme étant l’un des moments les plus dangereux où les femmes risquent la mort). Une telle motivation est fort à-propos au vu des statistiques révélant que 19 % des victimes déclarent, lors de leur appel au 3919, effectivement subir des violences économiques. Parce qu’elles sont très souvent dépendantes financièrement, la loi attribue donc une aide qualifiée tout d’abord d’universelle car devant être accessible à toutes les victimes de telles violences. L’aide est, de surcroît, dite d’urgence pour permettre aux mêmes victimes de faire face aux dépenses contraintes immédiatement suscitées par leur départ.

Certes, l’expulsion du conjoint violent du domicile conjugal est, idéalement, le principe à retenir en droit mais vu l’urgence, il est très difficile voire dangereux pour ces victimes d’attendre l’aboutissement des procédures judiciaires pour ce faire. De même, le temps judiciaire étant hélas conséquent, il n’aurait pas été raisonnable de faire dépendre une telle aide de la condamnation pénale du conjoint violent. Mais encore, jusque-là – et c’est dire l’impériosité d’une telle aide – les dispositifs de soutien financier pouvant être octroyés aux victimes pour leur permettre de sortir des situations de violences conjugales s’avéraient insatisfaisants parce que réservés aux personnes rencontrant non seulement des difficultés de vie mais encore allocataires des régimes de prestations familiales, lesquelles pouvaient alors bénéficier individuellement d’aides financières, parfois sous condition de ressources modestes (en ce sens, l’arrêté du 3 octobre 2001 relatif à l’action des caisses d’allocations familiales), sinon de l’octroi, à la discrétion du président du conseil départemental, d’avances sur droits supposés au RSA (CASF, art. L. 262-22).

Dans ce contexte, et pour toutes ces raisons, la création d’une aide ad hoc pour les victimes de violences conjugales souhaitant franchir le pas et quitter le domicile commun est apparue plus que nécessaire. Encore faut-il, pour bien la comprendre, cerner son universalité (1) de même que son caractère d’urgence (2).

1. Une aide universelle Absence de condition liée aux ressources.

– La présente loi intègre un nouveau chapitre IV bis au sein du Code de l’action sociale et des familles intitulé « Aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales », comprenant les articles L. 214-8 à L. 214-17. À la lecture de ces dispositions, l’on constate, en toute logique, que cette aide financière, parce qu’universelle, n’est ni soumise à conditions de ressources, ni soumise au pouvoir discrétionnaire des conseils d’administration des organismes débiteurs. Aux origines du texte, il n’en était pourtant pas ainsi. Étaient en effet proposées des conditions de régularité administrative quant au séjour de la victime et quant à sa résidence stable en France (un parallèle a été dressé ici, lors des discussions en séance publique à l’Assemblée nationale, avec l’aide médicale d’État, en ce que l’aide universelle d’urgence vise aussi à protéger la vie de ces victimes). Certains parlementaires ont toutefois estimé que de telles conditions pouvaient paraître peu « opérationnelles », estimant que les personnes en situation irrégulière ne se rendront précisément pas au commissariat ou en gendarmerie pour déposer plainte en matière de violences conjugales. En outre, il était indiqué dans la proposition de loi que la victime, pour bénéficier de l’aide, devait rencontrer des difficultés financières « immédiates », ce qui n’était pas sans freiner l’octroi de l’aide : en effet, comment une femme victime de violences conjugales prouve-t-elle qu’elle a des difficultés immédiates pour organiser son départ ? Ces conditions ont donc été supprimées dans l’idée de donner un sens plein et entier au caractère universel de l’aide. Trois critères d’octroi alternatifs

– L’aide dépend toutefois de trois critères d’octroi alternatifs. Elle peut d’abord être délivrée en cas d’ordonnance de protection au sens du Titre XIV du Livre Ier du Code civil, rendue par le juge aux affaires familiales et attestant desdites violences. S’agissant de ce premier critère d’octroi, l’on peut souligner que le nombre de telles ordonnances est encore très limité aujourd’hui, ce qui, à s’en tenir à ce seul canal d’octroi, rendrait trop restrictif l’accès à l’aide universelle. Dès lors, l’aide pourra être également délivrée en cas de dépôt de plainte pour des faits de violences conjugales. (…)

Aussi, l’article 4, II, de la loi crée un nouvel article 15-3-2-1 dans le Code de procédure pénale et innove en précisant qu’en cas de dépôt de plainte, la victime de violences conjugales devra être informée par l’officier ou l’agent de police judiciaire qui reçoit ladite plainte (ou, sous son contrôle, par l’assistant d’enquête) de la possibilité de demander cette aide universelle d’urgence, ce qui sort quelque peu du champ naturel de compétences de ces derniers.

De plus, par souci de simplification, au moment de ce dépôt de la plainte sinon du signalement adressé au procureur de la République -, avec l’accord de la victime, un formulaire simplifié de demande « pourra » être transmis à l’organisme débiteur compétent lequel est censé, dès réception de la demande, et de nouveau avec l’accord exprès du demandeur, transmettre au président du conseil départemental afin d’offrir, en outre, à la victime, pendant 6 mois à compter du premier versement de l’aide, les droits et aides accessoires au revenu de solidarité active ainsi qu’un accompagnement social et professionnel adapté (sur ce point, V. CASF, art. L. 262-27). Reste qu’un tel enregistrement de la demande n’est pas systématique, ce n’est en effet qu’une simple possibilité, les parlementaires ayant considéré sans doute que ces acteurs de terrain l’appliqueront de facto. Aussi, il est prévu que dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport jaugeant précisément ce dispositif à travers une évaluation territorialisée du nombre de demandes d’aide d’urgence transmises par les services de police judiciaire, du nombre et de la nature des interventions des travailleurs sociaux et de la recevabilité des demandes transmises dans ce cadre.

Cette quête d’universalité supposait encore de considérer ce fait avéré, à l’origine de ce troisième canal d’octroi de l’aide, selon lequel nombre de victimes de violences conjugales n’osent pas déposer plainte. Aussi, pour ne pas les exclure, ce dernier critère d’octroi a été pensé : l’aide pourra être également accordée en cas de signalement des violences adressé au procureur de la République par une tierce personne, notamment par un professionnel de santé. (…)

2. Une aide d’urgence

La loi énonce, en premier lieu, que toute personne victime de violences conjugales au sens de l’article 132-80 du Code pénal, doit pouvoir bénéficier d’un accompagnement adapté à ses besoins. Or, cet accompagnement peut, concrètement, consister en une aide financière délivrée dans l’urgence. Le coût de l’aide.

– De manière générale, la présence d’enfants à charge devra constituer un critère de modulation du montant de cette aide financière d’urgence, de même que l’évaluation des besoins de la victime, dans la limite de plafonds. S’agissant de la prise en considération des enfants à charge, cela apparaît en effet impératif, dès lors que dans la plupart des cas, les victimes de violences conjugales ne quittent pas le domicile sans leurs enfants (à cet égard, pour inclure le cas du parent voulant quitter le domicile commun pour protéger son enfant victime de violences physiques ou sexuelles, certains parlementaires ont voulu inscrire, en vain, dans le titre de la loi : « violences intrafamiliales »).

De plus, à mesure des travaux préparatoires, a été retenu le transfert du financement de cette aide de la Caisse nationale des allocations familiales à l’État, censé assumer ici une mission qui lui incombe naturellement. Le Gouvernement a encore levé le gage financier qui figurait originairement dans la proposition de loi, laquelle gageait en son article 3 les conséquences financières de l’aide universelle d’urgence au moyen d’une augmentation de la fiscalité sur les produits du tabac. Reste toutefois une réticence en termes de coût qui pourrait, certes, être opposée à cette nouvelle aide d’urgence, réticence à laquelle il a été aisément répondu que les violences contre les femmes ont elles-mêmes un coût pour la société (l’on a invoqué 3,3 milliards d’euros lors des travaux préparatoires).

Mais sous quelle forme cette aide financière d’urgence sera-t-elle accordée aux victimes concernées ? Les formes de l’aide

– Un prêt à taux zéro. – (…) Ainsi, en droit positif, l’aide financière d’urgence se décline désormais de deux façons. Elle peut tout d’abord prendre la forme d’un prêt à taux zéro rapidement octroyé par les organismes débiteurs des prestations familiales (essentiellement les caisses d’allocations familiales mais aussi de la Mutualité sociale agricole qui se trouve aujourd’hui intégrée au service de cette nouvelle aide). Lorsque l’aide est accordée sous cette forme, a été conservée l’idée selon laquelle il convenait, autant que faire se peut, d’imputer le remboursement des avances à l’auteur des violences et ce, même si la créance correspondante n’est pas encore exigible auprès du bénéficiaire. Ainsi, plutôt qu’une subrogation jugée bancale – et c’est là un dispositif fort ingénieux – le remboursement du prêt d’urgence pourra être mis à la charge de l’auteur des violences grâce à la mise en place d’une nouvelle peine complémentaire posée à l’article 222-44-1 du Code pénal, si ce dernier a été définitivement condamné par la juridiction pénale au titre de violences volontaires (violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente au sens de l’article 222-10 du Code pénal, ou ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours au sens de l’article 222-12 du Code pénal ou ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours sinon aucune incapacité de travail au sens de l’article 222-13 du même code. Sont encore visées, au sens de l’article 222-14 du Code pénal, les violences habituelles commises par le conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité).

Hormis le cas des violences n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail ou ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours, il s’agira d’une peine obligatoire, même si, afin de garantir le principe d’individualisation de la peine, le juge correctionnel pourra écarter son prononcé par décision spécialement motivée selon les circonstances de l’infraction et la personnalité de l’auteur. Mais encore, le remboursement de ce prêt d’urgence par l’auteur des violences conjugales pourra être, opportunément, mis à la disposition du parquet en devenant potentiellement la modalité d’une composition pénale ou d’un classement sous condition de versement pécuniaire au sens des articles 41-2, 20°et 41-1, 4° du CPP tels qu’amendés à cet effet par l’Assemblée nationale.

Dans tous ces cas, un plafond de 5 000 euros est prévu quant au remboursement du prêt par l’auteur des violences afin de respecter le principe constitutionnel de la légalité et de la proportionnalité des peines. Si le remboursement du prêt d’urgence devait, en revanche, incomber à son bénéficiaire, des remises ou réductions de créance pourraient lui être consenties si sa situation s’avérait précaire et pour ne pas le mettre en situation de surendettement. Toutefois, un tel remboursement ne pourra lui être demandé tant que les faits de violences donneront lieu à une procédure pénale en cours.

À cet égard, l’on a noté dans les travaux préparatoires de la loi qu’un pourcentage somme toute très relatif des violences conjugales fait l’objet d’un traitement judiciaire, ce qui laisse craindre que nombre de victimes devront rembourser ce prêt (d’ailleurs, pour encourager ce traitement judiciaire, la proposition de loi prévoyait de modifier l’article 88 du CPP afin de dispenser les victimes de violences conjugales de la procédure de consignation lorsqu’elles souhaitaient se porter partie civile. Certes, c’était là lever un frein financier à leur constitution de partie civile.

Néanmoins, l’on pouvait craindre une atteinte au principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi puisque seule une catégorie ciblée de victimes était concernée). D’où l’intérêt de la seconde modalité de cette aide financière d’urgence qui n’était, à l’origine sénatoriale du texte, pas prévue.

L’aide sous la forme d’un don. – C’est sans doute là l’apport essentiel du Gouvernement et des amendements de l’Assemblée nationale : selon la situation financière et sociale de la victime et en tenant compte, le cas échéant, de la présence d’enfants à charge, l’aide financière d’urgence peut en effet revêtir la forme d’un don. Il est apparu impensable dans certains cas, si l’on conservait exclusivement l’aide sous forme de prêt, que la victime de violences conjugales se retrouve en position de débiteur pour se protéger elle-même et protéger ses enfants. Rapidité de versement et récupération des sommes.

– Quoi qu’il en soit, le versement total de l’aide ou d’une partie devra bien entendu intervenir dans un délai rapide de 3 jours ouvrés à compter de la réception de la demande (qui peut exceptionnellement être porté à 5 jours si la victime n’est pas connue de l’organisme débiteur des prestations familiales).

Cette volonté de rapidité de la mise en œuvre administrative obéit parfaitement au caractère d’urgence des situations dont la loi veut se saisir. Aussi, tout paiement indu de l’aide financière d’urgence sera récupéré par remboursement intégral de la dette par le bénéficiaire, en un ou plusieurs versements, dans un délai fixé par décret qui ne peut dépasser 12 mois. En cas de non remboursement, les sommes allouées seront récupérées par les organismes débiteurs des prestations familiales au moyen de retenues sur des prestations sociales à venir (en l’occurrence, sur les échéances dues au titre des prestations familiales mentionnées à l’article L. 511-1 du Code de la sécurité sociale, de la prime d’activité mentionnée à l’article L. 841-1 du même code, du revenu de solidarité active mentionné à l’article L. 262-1 du Code de l’action sociale et des familles ou des aides personnelles au logement mentionnées à l’article L. 8211 du CCH) sinon, et à certaines conditions, par retenue sur les prestations mentionnées à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 553-2 du Code de la sécurité sociale (les retenues seront alors déterminées en application des dispositions prévues au troisième alinéa de l’article L. 553-2 du Code de la sécurité sociale et les dix derniers alinéas de l’article L. 133-4-1 du même code sont encore applicables au recouvrement de ces indus de même que les dispositions de ce code relatives au contrôle et à la lutte contre la fraude).

De manière générale, en cas de réclamation relative à cette aide, un recours préalable obligatoire (au sens de l’article L. 142- 4 du Code de la sécurité sociale) est prévu, lequel pourra être suivi d’un recours contentieux se tenant alors devant la juridiction administrative.

Loi de programmation pluriannuelle.

– Il convient d’indiquer enfin que figure encore dans cette loi, à l’article 3, une disposition que certains sénateurs ont qualifié de symbolique parce que dénuée de toute portée normative, laquelle prévoit qu’une loi de programmation pluriannuelle détermine la trajectoire des finances publiques en matière de prévention et d’accompagnement des femmes victimes de violence avant le 1er juillet 2023 puis tous les 5 ans. Elle se fondera sur une évaluation des besoins des victimes de violences au sein de leur couple ou de leur famille, contraintes de quitter leur logement après des menaces de violence ou de mariage forcé ou après des violences effectivement subies. Cette loi de programmation devra définir les objectifs de financement public nécessaire pour assurer l’accompagnement psychologique et social et pour une mise à l’abri via des dispositifs d’hébergement ; les moyens, aux échelons régional et départemental, destinés aux opérateurs de l’action sanitaire, sociale et médico-sociale ; les moyens destinés à la formation des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des agents des services de l’état civil, des agents des services pénitentiaires, des magistrats, des personnels de l’éducation nationale, des personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs ainsi que des personnels de police et de gendarmerie ; et enfin les moyens destinés au « 3919 » dans l’accomplissement de ses missions.

Et ce, sous le regard de l’Observatoire national des violences faites aux femmes et du Haut Conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes, appelés à rendre un avis annuel sur la cohérence entre les objectifs fixés et les moyens financiers. (…)

DOCUMENT 2 : Article D1-11-1 du Code de procédure pénale (création décret n° 20211516 du 23 novembre 2021 – art. 3) En cas de violences commises au sein du couple et relevant de l’article 132-80 du code pénal, le procureur de la République vérifie, avant de mettre l’action publique en mouvement, si ces violences ont été commises en présence d’un mineur et si la circonstance aggravante prévue par le b des articles 222-8,222-10 et 222-12 du même code est caractérisée, afin que les poursuites soient engagées sur le fondement de ces dispositions, sans préjudice de la possibilité, pour la juridiction d’instruction ou de jugement uniquement saisie en application des 6° de ces articles de requalifier les faits en ce sens. Le procureur de la République veille alors à ce que le mineur puisse se constituer partie civile lors des poursuites, le cas échéant en étant représenté par un administrateur ad hoc en application des articles 706-50 et 706-51 du présent code, y compris avant l’audience de jugement conformément aux articles 419 et 420, afin qu’il puisse y être convoqué comme partie civile et non comme témoin.

Lorsqu’une information est ouverte, le juge d’instruction avise, conformément à l’article 80-3, le représentant légal du mineur ou l’administrateur ad hoc désigné par le procureur ou par lui-même en application de l’article 706-50 de son droit de se constituer partie civile au nom du mineur. Les dispositions du présent alinéa sont également applicables en cas de poursuites pour meurtre commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, lorsque les faits ont été commis en présence d’un mineur.

Dans les cas prévus par les deux alinéas précédents, le procureur de la République veille également à ce que figurent au dossier de la procédure dont est saisie la juridiction de jugement tous les éléments permettant à celle-ci d’apprécier l’importance du préjudice subi par le mineur et de se prononcer, en application des dispositions du code pénal et du code civil, sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou de son exercice ou ainsi que sur la suspension des droits de visite et d’hébergement, le cas échéant en versant au dossier des pièces émanant de procédures suivies devant le tribunal judiciaire, le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants, ou en requérant s’il y a lieu un examen ou une expertise psychologique du mineur.

DOCUMENT 3 : Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la reconnaissance du terme de « féminicide », par Fiona Lazaar, Députée (enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 18 février 2020) (extraits : Proposition de Résolution)

PROPOSITION DE RÉSOLUTION visant à rappeler le caractère prioritaire de la lutte contre les violences faites aux femmes et à reconnaître le caractère spécifique des féminicides présentée par Madame Fiona LAZAAR, EXPOSÉ DES MOTIFS Mesdames, Messieurs, Depuis plusieurs décennies, le législateur a décidé de renforcer en profondeur l’arsenal législatif de lutte contre les violences faites aux femmes. En sus de cette forte volonté du Parlement, les engagements gouvernementaux ont également permis de mettre en œuvre une véritable politique publique dans ce domaine, jusqu’à faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause nationale de l’actuel quinquennat. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui se caractérisent notamment par leur aspect multiforme, est aujourd’hui une priorité reconnue par la société et largement prise en charge par les pouvoirs publics. De natures multiples (physiques, psychologiques, économiques, administratives, cyber‑surveillance, cyber‑harcèlement…), ces violences peuvent concerner toutes les femmes : de tout territoire, de tout milieu, de tout âge ; et ne doivent par exemple pas être oubliées les femmes séniores, les femmes en situation d’immigration ou encore les femmes en situation de handicap. Soulignant l’urgence de la situation et son caractère prioritaire, le travail mené dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, organisé à l’automne dernier, doit aujourd’hui être poursuivi et concrétisé pour mieux lutter encore contre ces violences inacceptables et pourtant omniprésentes. Surtout, la lutte contre ces violences doit s’accélérer. Il faut agir rapidement pour mieux détecter, mieux dénoncer, mieux protéger, mieux sanctionner. Et il faut agir pour mieux nommer. En France, avec une stabilité inquiétante depuis plusieurs années, une femme est tuée tous les deux à trois jours par son partenaire ou ex‑partenaire intime. 140 femmes tuées en 2009, 146 femmes tuées en 2010, 122 femmes tuées en 2011, 148 femmes tuées en 2012, 121 femmes tuées en 2013, 118 femmes tuées en 2014, 115 femmes tuées en 2015, 123 femmes tuées en 2016, 130 femmes tuées en 2017, 121 femmes tuées en 2018.

En 2019, selon le collectif « féminicides par compagnon ou ex », 149 femmes auraient été tuées par leur partenaire ou ex‑partenaire intime. On ne peut concevoir ces crimes sans les nommer correctement : ils ne sont ni des « drames amoureux », ni des « crimes passionnels », ni des « sorties de route ». Ils portent un nom, celui de « féminicides », comme l’a rappelé le Président de la République lors de la 74e Assemblée générale des Nations Unies en appelant la communauté internationale à renforcer sa mobilisation. Ce terme de « féminicide », déjà intégré au vocabulaire courant, social et médiatique, permet de reconnaître le caractère singulier et systémique de ces crimes de genre en désignant le meurtre d’une femme parce qu’elle est femme. Souvent motivés par des sentiments d’objectivation, d’emprise, de jalousie et de domination, ces crimes commis par un homme sur une femme résultent ainsi d’une logique sexiste où l’agresseur finit par s’approprier sa victime au point de considérer avoir droit de vie ou de mort sur elle. Comme le rappelait la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes des Nations Unies, « il est urgent de faire en sorte que les femmes bénéficient universellement des droits et principes consacrant l’égalité, la sécurité, la liberté, l’intégrité et la dignité de tous les êtres humains » .

Par cette résolution la France réaffirme sa ferme volonté de lutter contre toutes les formes de violences faites aux femmes et s’engage à développer l’emploi du terme de « féminicide » afin de mieux nommer la réalité de ces crimes. PROPOSITION DE RÉSOLUTION Article unique L’Assemblée nationale, (…) Réaffirme l’importance du principe constitutionnel selon lequel la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ; Considérant que les violences sexistes et sexuelles, majoritairement commises à l’encontre des femmes, forment un continuum inadmissible et incompatible avec les valeurs de la République ; Considérant que ce continuum de violences sexistes et sexuelles constitue une violation des droits de la personne humaine et des libertés fondamentales ; Rappelle que l’ampleur de ce continuum et l’aspect multiforme de ces violences se traduisent également par la réitération régulière et inacceptable de meurtres de femmes notamment dans le cadre du couple ; Affirme le rôle fondamental de la lutte contre toutes les formes de violences sexistes et sexuelles pour faire advenir une société d’égalité, ainsi que la nécessité de lutter encore plus efficacement contre les violences commises au sein du couple ; Considère que le terme de « féminicide » désigne les meurtres de femmes en raison de leur sexe, en particulier lorsque ceux‑ci sont commis par le partenaire intime ou ex‑partenaire intime ; Souhaite que l’emploi du terme de « féminicide » soit encouragé en France afin de reconnaître le caractère spécifique et systémique de ces crimes et ainsi de mieux nommer ces réalités intolérables pour mieux y mettre un terme.

DOCUMENT 4 : Article 41-3-1 du Code de procédure pénale (modifié par la Loi n°20191480 du 28 décembre 2019 – Art. 17)

En cas de grave danger menaçant une personne victime de violences de la part de son conjoint, de son concubin ou de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, le procureur de la République peut attribuer à la victime, pour une durée renouvelable de six mois et si elle y consent expressément, un dispositif de téléprotection lui permettant d’alerter les autorités publiques. L’attribution peut être sollicitée par tout moyen. Avec l’accord de la victime, ce dispositif peut, le cas échéant, permettre sa géolocalisation au moment où elle déclenche l’alerte. Le dispositif de téléprotection ne peut être attribué qu’en l’absence de cohabitation entre la victime et l’auteur des violences et :

1° Soit lorsque ce dernier a fait l’objet d’une interdiction judiciaire d’entrer en contact avec la victime dans le cadre d’une ordonnance de protection, d’une alternative aux poursuites, d’une composition pénale, d’un contrôle judiciaire, d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, d’une condamnation, d’un aménagement de peine ou d’une mesure de sûreté ;

2° Soit en cas de danger avéré et imminent, lorsque l’auteur des violences est en fuite ou n’a pas encore pu être interpellé ou lorsque l’interdiction judiciaire d’entrer en contact avec la victime dans l’un des cadres prévus au 1° n’a pas encore été prononcée.

Le présent article est également applicable lorsque les violences ont été commises par un ancien conjoint ou concubin de la victime, ou par une personne ayant été liée à elle par un pacte civil de solidarité, ainsi qu’en cas de grave danger menaçant une personne victime de viol. DOCUMENT 5 : Article 132-80 du Code pénal (modifié par la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 – art. 13) Dans les cas respectivement prévus par la loi ou le règlement, les peines encourues pour un crime, un délit ou une contravention sont aggravées lorsque l’infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas. La circonstance aggravante prévue au premier alinéa est également constituée lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du présent alinéa sont applicables dès lors que l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime.

DOCUMENT 6 : CEDH 9 juin 2009, Opuz c/ Turquie, n°33401/02 (note d’information sur la jurisprudence de la Cour, extraits)

En fait : En 2002, alors qu’elle tentait d’aider la requérante à s’enfuir du domicile familial, la mère de celle-ci fut mortellement atteinte par des coups de feu tirés par l’époux de l’intéressée. Au cours des années précédentes, ce dernier avait commis des agressions sur la personne de la requérante et de la mère de celle-ci, leur infligeant à plusieurs reprises des blessures qualifiées de potentiellement mortelles par des médecins. Les violences en question se sont notamment traduites par des coups, une tentative de percuter les deux femmes avec un véhicule ayant causé de graves blessures à la mère de l’intéressée, et une agression au cours de laquelle celle-ci fut poignardée à sept reprises.

Les victimes signalèrent ces violences aux autorités et leur indiquèrent qu’elles craignaient pour leur vie. Les poursuites pénales ouvertes contre le mari de l’intéressée pour une série de délits – notamment des menaces de mort, des violences aggravées et une tentative d’homicide – furent abandonnées à deux reprises au moins, après que les victimes eurent retiré leur plainte en raison des menaces que leur agresseur aurait proférées contre elles. Toutefois, compte tenu de la gravité des blessures infligées, les enquêtes ouvertes sur l’agression commise avec le véhicule et sur les coups de couteau portés à l’intéressée donnèrent lieu à un procès.

Reconnu coupable de ces deux agressions, l’époux de la requérante fut condamné à trois mois d’emprisonnement pour la première – peine ultérieurement commuée en une peine amende – et à une peine d’amende payable en mensualités pour la seconde. Il finit par tuer la mère de la requérante à coups de feu, geste qu’il justifia par la nécessité de défendre son honneur. Reconnu coupable de meurtre en 2008 et condamné à la réclusion à perpétuité, il fut cependant remis en liberté dans l’attente de l’issue de la procédure d’appel et recommença à menacer sa femme, qui sollicita la protection des autorités. Celles-ci ne prirent des mesures à cet effet que sept mois plus tard, après que la Cour eut invité le Gouvernement à lui fournir des informations à ce sujet. La Recommandation du Comité des Ministres sur la protection des femmes contre la violence (Rec (2002)5 du 30 avril 2002) invite les Etats membres à introduire, développer et/ou améliorer, le cas échéant, des politiques nationales de lutte contre la violence.

Elle leur recommande notamment d’incriminer les actes de violence graves commis contre les femmes, de prévoir des mesures destinées à assurer aux victimes de violences la possibilité d’ester en justice et de bénéficier d’une protection efficace, ainsi que d’encourager le ministère public à considérer la violence à l’égard des femmes comme un facteur aggravant ou décisif lorsqu’il est appelé à se prononcer sur l’opportunité des poursuites.

En droit : Article 2 – La Cour rappelle que, lorsqu’il est allégué que les autorités ont failli à leur obligation positive de protéger le droit à la vie dans le cadre de leur devoir de prévenir et réprimer les atteintes contre les personnes, il y a lieu d’établir que lesdites autorités savaient ou auraient dû savoir à l’époque pertinente qu’un ou plusieurs individus étaient menacés de manière réelle et immédiate dans leur vie du fait des actes criminels d’un tiers, et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque.

a) Sur la prévisibilité du risque : Les circonstances de la cause témoignent des violences systématiques et de plus en plus intenses infligées à la requérante et à la mère de celle- ci – faits dont la gravité était suffisante pour justifier l’adoption de mesures préventives – ainsi que des menaces constantes qui pesaient sur leur vie et la sécurité de ces deux femmes. Les antécédents de violence domestique de l’époux de l’intéressée étant établis, le risque de récidive était important. Les autorités étaient au fait de cette situation et, deux semaines avant sa mort, la mère de la requérante avait signalé au parquet qu’un danger immédiat menaçait sa vie et sollicité l’intervention de la police. Il s’ensuit que le risque d’une agression mortelle était prévisible.

b) Sur le caractère approprié des mesures prises par les autorités : La première question qui se pose à cet égard est celle de la justification de l’abandon, par les autorités, des poursuites pénales dirigées contre l’époux de la requérante consécutivement au retrait des plaintes déposées par celle-ci et sa mère. La Cour a tout d’abord examiné la pratique suivie par les Etats membres.

Ayant conclu à l’absence de consensus général sur cette question, elle a cependant relevé que ceux-ci sont d’autant plus enclins à maintenir les poursuites dans l’intérêt général que l’infraction est grave et que le risque de récidive est élevé, même lorsque les victimes retirent leurs plaintes. Pour se prononcer sur l’opportunité du maintien des poursuites, les autorités compétentes tiennent compte de plusieurs éléments ayant trait aux caractéristiques de l’infraction (la gravité de celle-ci, la nature des blessures infligées à la victime, l’usage d’une arme, la préméditation), à celles de l’auteur du délit (son casier judiciaire, le risque de récidive qu’il présente, ses éventuels antécédents de violence), à celles de la victime et des victimes potentielles (les risques pouvant peser sur leur santé et leur sécurité, les conséquences éventuelles sur leurs enfants et, le cas échéant, les menaces postérieures à l’agression) et aux relations entre l’auteur du délit et la victime (leurs relations passées et présentes, et les effets potentiels du maintien des poursuites contre la volonté de la victime).

En l’espèce, les autorités ont à plusieurs reprises décidé de classer les poursuites dirigées contre l’époux de la requérante, malgré le contexte de violence et l’usage d’armes létales, pour éviter de s’immiscer dans ce qui était à leurs yeux un « problème domestique ». Elles semblent ne pas avoir tenu compte des raisons pour lesquelles les plaintes avaient été retirées, alors pourtant qu’elles avaient été informées des menaces de mort proférées par le prévenu. En ce qui concerne la thèse selon laquelle les autorités ne pouvaient continuer à instruire en raison d’une disposition légale interdisant le maintien des poursuites en cas de retrait de la plainte à moins que les faits poursuivis n’aient provoqué une indisposition ou une incapacité de travail d’une durée minimale de 10 jours, force est de constater que le cadre législatif invoqué ne satisfait pas aux exigences inhérentes aux obligations positives de l’Etat en matière de protection contre les violences domestiques. Le gouvernement défendeur ne saurait prétendre que le maintien des poursuites aurait emporté violation des droits des victimes au titre de l’article 8 de la Convention car la gravité de la menace pesant sur la mère de l’intéressée rendait cette mesure nécessaire.

En ce qui concerne la thèse du Gouvernement selon laquelle il n’existait pas de preuve concrète de l’existence d’un danger imminent pesant sur la mère de la requérante, la Cour relève que les autorités n’ont pas évalué la menace que représentait l’époux de l’intéressée et n’ont pas conclu que la détention de celui-ci aurait été disproportionnée. Elles ne se sont pas prononcées sur ces questions. En tout état de cause, en matière de violences domestiques, les droits des agresseurs ne peuvent prendre le pas sur le droit des victimes à la vie et à l’intégrité morale. Enfin, la Cour observe que les autorités auraient pu prendre des mesures de protection sur le fondement de la loi sur la protection de la famille (n°4320) ou interdire à l’époux de la requérante d’entrer en contact avec la mère de celle-ci, de communiquer avec elle, de s’en approcher ou de se rendre dans des lieux déterminés. En conclusion, faute d’avoir fait preuve de la diligence requise, elles ont manqué à leur obligation positive de protéger le droit à la vie de la mère de l’intéressée.

c) Sur le caractère effectif de l’enquête : Pendante depuis plus de six ans, la procédure pénale ouverte à l’occasion du meurtre de la mère de l’intéressée fait actuellement l’objet d’un recours. Dans ces conditions, on ne saurait dire que les autorités ont réagi promptement à un homicide volontaire reconnu par son auteur. En conclusion, la justice pénale n’a pas eu l’effet dissuasif voulu dans la présente affaire. Dès lors que les autorités avaient été informées de la situation, elles ne pouvaient tirer argument du comportement de la victime pour tenter de justifier le fait qu’elles n’ont pas pris les mesures nécessaires pour empêcher la réalisation de menaces contre l’intégrité physique.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 3 – La réaction des autorités au comportement du mari de la requérante a été manifestement inadaptée au regard de la gravité des infractions perpétrées par lui. Les décisions judiciaires dont il a fait l’objet n’ont visiblement eu sur lui aucun effet préventif ou dissuasif et reflètent même une certaine tolérance envers ses actes puisqu’il ne s’est vu infliger qu’une courte peine d’emprisonnement – commuée en amende – pour avoir percuté la mère de l’intéressée avec sa voiture et – ce qui est encore plus frappant – une amende légère payable en plusieurs fois pour avoir poignardé la requérante à sept reprises. Par ailleurs, ce n’est qu’en janvier 1998, avec l’entrée en vigueur de la loi n° 4320, que des mesures administratives et répressives visant à protéger les personnes vulnérables contre la violence domestique ont été introduites dans l’ordre juridique turc. En outre, dans la présente affaire, les autorités n’ont pas fait un usage efficace des mesures et sanctions à leur disposition depuis lors.

Enfin, la Cour observe avec beaucoup de préoccupation que l’intéressée continue à subir des actes de violence et que les autorités font toujours preuve de passivité. Bien que la requérante ait sollicité l’aide des autorités, celles-ci n’ont rien entrepris avant que la Cour n’invite le Gouvernement à lui fournir des informations sur les mesures de protection mises en œuvre.

En bref, les autorités ont manqué à leur obligation de prendre des mesures de protection assurant à la requérante une prévention efficace la mettant à l’abri des graves atteintes portées à son intégrité physique par son ex-mari. Conclusion : violation (unanimité). Article 14 combiné avec les articles 2 et 3 – La Cour relève qu’il ressort des normes et des principes pertinents du droit international reconnus par une large majorité de pays que le manquement – même involontaire – des Etats à leur obligation de protéger les femmes contre la violence domestique s’analyse en une violation du droit de celles-ci à une égale protection de la loi.

Des rapports émanant du barreau de Diyarbakır et d’Amnesty International, non contestés par le Gouvernement, établissent que Diyarbakır – où la requérante avait son domicile à l’époque pertinente – compte le plus grand nombre de victimes recensées de violence domestique. Celles-ci sont toutes des femmes, dans la plupart des cas d’origine kurde et le plus souvent illettrées ou faiblement éduquées et ne disposant généralement pas de revenus propres. Les rapports en question donnent à penser que la violence domestique est tolérée par les autorités et que les remèdes disponibles ne sont pas effectifs. Au lieu d’instruire les plaintes des victimes, les officiers de police se posent en médiateurs en tentant de les convaincre de regagner leur foyer et de retirer leur plainte. La délivrance et la notification des injonctions connaissent fréquemment des retards et les tribunaux ont tendance à considérer ces procédures comme une forme d’action en divorce. Les sanctions prises contre les auteurs de violences domestiques ne sont pas dissuasives car la rigueur en est atténuée au nom de la coutume, de la tradition ou de l’honneur. La Cour en conclut que la violence domestique affecte principalement les femmes et que la passivité généralisée et discriminatoire dont les autorités turques font preuve à cet égard crée un climat propice à cette violence. Les violences infligées à l’intéressée et à sa mère doivent être considérées comme fondées sur le sexe et constituent donc une forme de discrimination à l’égard des femmes. Malgré les réformes entreprises par le Gouvernement ces dernières années, l’indifférence dont la justice fait généralement preuve en la matière et l’impunité dont jouissent les agresseurs – illustrées par la présente affaire – reflètent un manque de détermination des autorités à prendre des mesures appropriées pour remédier à la violence domestique. Conclusion : violation (unanimité). Article 41 – 30 000 EUR pour préjudice moral.

DOCUMENT 7 : K. Vermès, La lutte contre les violences conjugales : le rôle du parquet, AJ Famille 2023, p. 22

Les violences au sein du couple forment un contentieux de masse en augmentation constante(1) qui impose pourtant des réponses fines, individualisées, adaptées à chaque situation rencontrée. Ainsi, si la lutte contre les violences conjugales constitue depuis de nombreuses années une priorité de politiques publique et pénale, elle s’est renforcée à compter de 2019 à l’occasion de faits divers dramatiques ayant marqué l’opinion publique, du Grenelle des violences conjugales (tenu du 3 sept. au 28 nov. 2019) mais aussi de modifications législatives et de diffusion de plusieurs circulaires(2).

Mise en place d’un cadre proactif : révélation des faits, immédiateté de la procédure d’enquête et accompagnement – Les différentes actions mises en place par les parquets visent notamment à placer la protection de la victime au cœur du dispositif pénal, à favoriser la révélation des faits, l’immédiateté de la procédure d’enquête et l’accompagnement des victimes dans un cadre proactif. Favoriser la révélation des faits et favoriser l’accompagnement des victimes de manière proactive vont souvent de pair au regard de l’état psychologique spécifique des victimes de violences conjugales sous emprise, souvent vulnérables tant socialement qu’économiquement. Rôle des personnels de santé – L’articulation mise en place avec les personnels de santé, rendue plus aisée avec la modification de l’art. 226-14, 3°, c. pén. prévoyant des cas de dérogation au secret médical(3), en est une des illustrations. 

La plupart des parquets ont conclu des conventions avec les établissements hospitaliers ou les médecins libéraux afin de permettre la prise en charge des victimes et de leurs enfants. Elles prévoient des mécanismes de signalement, de dépôt de plainte simplifiée avec envoi de réquisitions judiciaires à l’hôpital, le recueil et la conservation des preuves sans plainte ou le recueil de la plainte à l’hôpital(4). Rôle des bureaux d’aide aux victimes – Parallèlement, nombreux sont les bureaux d’aide aux victimes (BAV) à se voir confier la mission de contacter téléphoniquement de manière systématique les victimes de violences conjugales dès l’ouverture d’une enquête afin de leur apporter une écoute attentive et toutes les informations utiles tendant notamment à un accès à un avocat et aux dispositifs d’accompagnement tant sociaux, psychologiques que juridiques civils ou pénaux.

C’est aussi le moment de les rassurer s’agissant du fonctionnement de la justice souvent impressionnant et inquiétant pour elles. Dès lors que des poursuites sont engagées, quand bien même seraient-elles parfois réticentes, les victimes sont à nouveau contactées par le bureau d’aide aux victimes afin de les informer des modalités pratiques pour être assistées d’un avocat si elles le souhaitent et, à défaut, du déroulement de l’audience et des modalités d’une éventuelle constitution de partie civile. Évaluation personnalisée des victimes et connaissance de la personnalité de l’auteur – Par ailleurs, l’évaluation personnalisée des victimes (EVVI) est quasi généralisée. Une meilleure connaissance de la personnalité de l’auteur est également un maillon essentiel à la protection de la victime afin d’apporter des réponses pénales adaptées de plus en plus nombreuses. Exemples : téléphone grave danger (C. pr. pén., art. 41-3-1) ; bracelet anti-rapprochement (obligation du contrôle judiciaire, d’une mesure de sursis probatoire assortissant une peine d’emprisonnement, d’une mesure d’aménagement de peine) ; stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes (C. pén., art. 131-51 ; C. pr. pén., art. 41-1 et 41-2).

L’expertise psychiatrique des auteurs est désormais souvent ordonnée.

Exemple – En janvier 2020, la cour d’appel de Paris a expérimenté un dispositif d’évaluation de la dangerosité de l’auteur, qu’elle a ensuite pérennisé, à la disposition des parquets de son ressort, faisant appel à un pool d’experts psychiatres-psychologues missionnés à cette fin. Rôle pivot du parquet dans les chaînes pénale et civile

– L’appréhension globale et efficace des violences commises au sein du couple impose une réflexion, des dispositifs et des actions en lien avec de nombreux professionnels venant de tous horizons, de la justice ou non (milieux associatifs, éducatifs, sociaux, médicaux…), à tous les stades de la chaîne pénale (de l’enquête à l’exécution de la peine), mais aussi de celle civile. C’est ainsi que le parquet, qui se situe au carrefour de nombreuses procédures, a un rôle pivot dans le traitement des violences conjugales. Il est en relation avec le juge d’instruction, le juge des libertés et de la détention, le juge correctionnel et le juge de l’application des peines. Dans le cadre civil, il est en lien étroit avec le juge des enfants s’agissant de l’assistance éducative mais aussi avec le juge aux affaires familiales en application des dispositions relatives à l’autorité parentale du conjoint violent(5) et à l’ordonnance de protection. Circulation et exploitation de l’information par le procureur de la République

– Ainsi, le procureur de la République joue un rôle essentiel dans la circulation de l’information entre les différents magistrats susceptibles d’être saisis simultanément. Il assure également l’exploitation de toute source comportant des révélations relatives à des violences conjugales (transmission du juge aux affaires familiales, du juge des enfants, du juge de l’application des peines, de la cellule de recueil des informations préoccupantes, signalement de l’Éducation nationale, alerte du BAV) et favorise le traitement transversal des éléments par les enquêtes pénales diligentées, par les saisines des juges civils-pénaux simultanément ou successivement ainsi que par l’attribution de « téléphones grave danger » et par la participation à la mise en œuvre du bracelet anti-rapprochement. Coordination des dispositifs civils et pénaux par le procureur de la République

– Le procureur de la République cherchera à coordonner les dispositifs civils et pénaux de protection des victimes notamment dans le cadre de l’ordonnance de protection. Si l’initiative de la demande de celle-ci par le procureur de la République reste marginale, privilégiant bien souvent le circuit pénal, notamment la comparution immédiate ou la convocation par procès-verbal avec contrôle judiciaire pour obtenir la protection de la victime de violences conjugales et l’éviction du conjoint violent(6), il n’en demeure pas moins que le parquet est présent tout au long de l’instance civile, tant en amont qu’en aval de la décision. Présence du parquet tout au long de l’instance civile d’ordonnance de protection

– Tout d’abord, le parquet sera informé de la demande d’ordonnance de protection par une notification de celle-ci par le service du juge aux affaires familiales.

Partie jointe, il formulera un avis auquel seront jointes des pièces et des informations relatives aux antécédents du défendeur, permettant d’éclairer le juge aux affaires familiales. Ce sera également pour lui un moyen d’assurer une vigilance sur la diligence apportée au traitement pénal de la plainte grâce aux pièces fournies par la partie demanderesse.

Ensuite, une fois la décision rendue, l’ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales lui est notifiée sans délai par le greffe. Ce sera pour lui l’occasion d’en conserver une copie.

Enfin, le procureur de la République procédera à l’inscription de l’ordonnance de protection au fichier des personnes recherchées et la communiquera au représentant de l’État dans le département afin que ce dernier puisse l’inscrire au Fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA) et procéder à la remise des armes détenues. Suivi des ordonnances de protection – Au-delà de la décision rendue, l’enjeu sera également de veiller à l’actualisation des situations, l’ordonnance de protection étant valable six mois mais pouvant être renouvelée pour une durée similaire ou prorogée si, avant la requête en ordonnance de protection ou durant les six mois de l’ordonnance, a été déposée une requête ou une assignation en divorce ou en séparation de corps ou une requête relative à l’exercice de l’autorité parentale.

Dans ce cas, l’ordonnance de protection cessera de produire ses effets au moment où cette procédure au fond aura abouti à une décision définitive. Ainsi, des protocoles relatifs au traitement et au suivi des ordonnances de protection sont signés notamment entre les chefs de juridiction, le bâtonnier de l’ordre des avocats et le président de la chambre départementale des huissiers (aujourd’hui commissaires de justice) pour permettre d’identifier, de formaliser et de sécuriser les circuits. L’accomplissement de ces formalités aura pour objet d’assurer le respect de l’ordonnance de protection mais aussi de faciliter par une plus grande réactivité l’enquête pénale et l’exercice des poursuites en cas de violation des obligations et interdictions imposées dans l’ordonnance de protection sur le fondement de l’art. 227-4-2 c. pén., gage de l’efficacité de la mesure.

(1) Plus de 81 300 affaires de violences conjugales orientées par les parquets : 52 800 en 2012 / nombre d’affaires poursuivables + 42,9 % de hausse entre 2012 et 2020 (de 36 570 affaires en 2012 à 52 250 en 2020) – Source SG-SDSE SID/CASSIOPEE- Traitement DACG/PEPP.

(2) Circ. du 9 mai 2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes ; L. n° 2019-1480 du 28 déc. 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille ; Circ. du 28 janv. 2020 de présentation des dispositions de droit civil et de droit pénal immédiatement applicables de la loi précitée ; L. n° 2020-936 du 30 juill. 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales ; Circ. du 31 juill. 2020 de présentation des dispositions des décrets n° 2020-636 du 27 mai 2020 portant application des art. 2 et 4 de la loi n° 2019-1480 du 28 déc. 2019 et n° 2020-841 du 3 juill. 2020 modifiant l’art. 1136-3 c. pr. civ. et R. 93 c. pr. pén.

(3) L. n° 2020-936 du 30 juill. 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

(4) Fin oct. 2022, pour faciliter la prise de plainte pour les victimes de violences conjugales dans l’incapacité de se déplacer notamment lorsqu’elles sont hospitalisées, 269 conventions ont été signées et 54 sont en cours de signature (communiqué du ministère de la Santé et de la prévention, 28 nov. 2022) (bit.ly/VG_Plaintes_Hopital). – Rapport annuel du ministère public 2020, p. 13, Dalloz actualités 24 sept. 2021.

(5) L. n° 2019-1480 du 28 déc. 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille ; Décr. n° 2021-1516 du 23 nov. 2021 et n° 2021-1820 du 24 déc. 2021 – V. égal. C. pr. pén., art. D. 47-11-4 ; A.S. Laguens, infra p. 24.

(6) Interdiction de contact avec la victime, interdiction de se rendre au domicile de la victime, décision d’un bracelet anti-rapprochement.

DOCUMENT 8 : Cass. crim., 23 juin 2021, n° 20-84820 (extraits) (…) Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit. 2. Le 8 mai 2019, Mme [W] [U] a déposé plainte au commissariat de police de [Localité 1] contre son compagnon, M. [Z] [T] pour des faits de violences conjugales commis les 1er mars et 17 avril 2019. 3. M. [T] a invoqué un état de légitime défense, assurant qu’il s’était contenté de maîtriser la violence de sa compagne. 4. Par jugement du 25 juin 2019, le tribunal correctionnel de Grasse, saisi dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate, a déclaré M. [T] coupable des faits de violences volontaires par personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, sans incapacité de travail s’agissant des faits du 1er mars 2019 et ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à huit jours s’agissant des faits du 17 avril 2019, et l’a condamné à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils. 5. Le 26 juin 2019, M. [T] a relevé appel des dispositions pénales et civiles de cette décision. Le même jour, le ministère public a formé appel incident. (…) Enoncé du moyen 7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné M. [T] à un an d’emprisonnement avec sursis alors « qu’en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; qu’en se bornant à énoncer, pour prononcer une peine d’emprisonnement, que les faits sont d’une gravité certaine et avérée, s’agissant de violences conjugales répétées et que les éléments relatifs à la personnalité du prévenu apparaissent préoccupants sans s’expliquer sur la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 485-1 du code de procédure pénale, 132-1 et 132-20 du code pénal. »

Réponse de la Cour 8. Pour condamner le prévenu à un an d’emprisonnement avec sursis, l’arrêt retient que les faits sont d’une gravité certaine et avérée, s’agissant de violences conjugales répétées, que les éléments de sa personnalité sont préoccupants du fait de sa rigidité violente et de son absence de remise en cause. 9. L’arrêt indique aussi que le prévenu est psychiatre, qu’il a 35 ans, qu’il n’a jamais été condamné, demeure à [Localité 1], et vit en concubinage. La cour d’appel ajoute que la compagne du demandeur a déclaré que des difficultés sont apparues dans le couple, pendant qu’elle était enceinte, et que le prévenu a l’habitude de s’absenter et de rentrer sous l’emprise de l’alcool et de substances stupéfiantes. Les juges relèvent encore que l’expertise psychiatrique de M. [T] précise qu’il ne contrôle pas son ressentiment envers sa compagne, qu’il inverse les rôles de manière quasi-perverse, se présentant comme victime d’une femme manipulatrice et sans scrupules. Ils soulignent que cette attitude est d’autant plus préoccupante que le prévenu dispose de ressources intellectuelles et sociales lui permettant d’appréhender directement la réalité. 10. En l’état de ces motifs dénués d’insuffisance, la cour d’appel a justifié sa décision. (…) PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE le pourvoi ;

DOCUMENT 9 : Circulaire du 9 mai 2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes (extraits) Paris, le 9 mai 2019 Date d’application : immédiate La garde des sceaux, ministre de la justice

A POUR ATTRIBUTION Mesdames et Messieurs les procureurs généraux près les cours d’appel Monsieur le procureur de la République près le tribunal supérieur d’appel Mesdames et Messieurs les procureurs de la République près les tribunaux de grande instance Madame le procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris POUR INFORMATION Mesdames et Messieurs les premiers présidents des cours d’appel Monsieur le président du tribunal supérieur d’appel Mesdames et Messieurs les présidents des tribunaux de grande instance Monsieur le membre national d’Eurojust pour la France (…)

III. Renforcer la vigilance à l’égard des auteurs de violences conjugales au stade de l’exécution de la peine

1. Garantir la prise en charge effective et rapide du condamné à l’issue du prononcé de la condamnation • L’exécution provisoire de la sanction Spécialement ordonnée par le tribunal à l’occasion du prononcé d’un sursis avec mise à l’épreuve, d’un suivi socio-judiciaire et de la future peine de sursis probatoire, l’exécution provisoire constitue le gage de l’effectivité de la sanction prononcée. Des réquisitions expresses sur ce point sont donc nécessaires, dès lors que l’intéressé est présent à l’audience, afin de permettre une prise en charge rapide. Lorsque le condamné est absent, en cas de réquisitions portant sur une interdiction de paraître au domicile conjugal ou d’interdiction de contact avec la victime, il convient de s’assurer d’une convocation rapide devant le juge de l’application des peines (JAP).

Par ailleurs, je ne verrais qu’avantage à ce qu’il soit envisagé d’inviter les greffiers d’audience à remettre un relevé de condamnation pénale (RCP) aux victimes dès la sortie de l’audience. • Le traitement prioritaire des dossiers de violences conjugales En lien avec les JAP, je souhaite que soit défini au stade de l’exécution des peines un circuit de priorisation de ces dossiers, afin de permettre une prise en charge effective du condamné et d’éviter des retards injustifiés de nature à hypothéquer la mise en œuvre effective des mesures de protection de la victime prononcées par le tribunal et pour limiter le risque de réitération.

A cette fin, une prise en charge rapide et effective par les services pénitentiaires des mesures de suivi de la personne condamnée doit être recherchée. Dans le cadre des suivis probatoires, il pourra ainsi être opportun, si la victime consent à être contactée, de s’assurer du respect des obligations prononcées, par- les services pénitentiaires d’insertion et de probation ou l’association d’aide aux victimes. De même, en cause d’appel, je souhaite que les parquets généraux veillent tout particulièrement à l’audiencement prioritaire des procédures concernées.

Il convient enfin ici de rappeler qu’en cas de carence du condamné, le JAP, ou le procureur en cas d’urgence et d’empêchement du juge, peut également délivrer un mandat d’amener contre un condamné, ou un mandat d’arrêt en cas de fuite ou de résidence à l’étranger. • La préparation de l’issue de l’incarcération et l’accompagnement à la sortie A l’issue d’une période d’incarcération de l’auteur, une vigilance particulière s’impose sur l’éventuel avis donné à la victime en cas de danger, et l’adresse communiquée par ce dernier au greffe pénitentiaire, lorsqu’il lui est fait interdiction de paraître au domicile conjugal. Afin d’éviter que l’interdiction d’entrer en contact avec la victime ou de paraître aux abords de son domicile ne soit caduque à la suite de la révocation d’un sursis avec mise à l’épreuve, les réquisitions tendant au prononcé d’une révocation partielle doivent être privilégiées. Par ailleurs, la vigilance s’impose quant à la nécessite de requérir, lorsque les conditions légales sont réunies et en l’absence de suivi en milieu ouvert, d’aménagement de peine ou de mesure de libération sous contrainte, un suivi judiciaire à la sortie de détention, sous la forme d’un suivi post peine, d’une surveillance judiciaire, d’un placement sous surveillance électronique mobile ou d’une injonction de soins.

2. Apporter une réponse immédiate aux incidents urgents lors de l‘exécution de la peine Il convient de manière générale de s’assurer de la bonne diffusion au FPR des interdictions de paraître au domicile de la victime ou d’entrer en contact avec elle. En cas d’incidents portés à la connaissance du parquet, il convient d’ordonner la retenue du condamné à l’encontre duquel il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il n’a pas respecté les obligations judiciaires qui lui incombent, afin que soit vérifiée sa situation et qu’il soit entendu sur la violation (article 709-1-1 du code de procédure pénale).

A cet égard, si les obligations ne sont pas suspendues du fait de l’incarcération, ces violations doivent également faire l’objet de poursuites lorsqu’elles ont été commises depuis l’établissement pénitentiaire, laissant craindre un nouveau passage à l’acte à la sortie. L’imminence d’une sortie inquiétante peut d’ailleurs conduire le parquet à envisager l’attribution d’un TGD.  La lutte contre les violences au sein du couple mérite une attention particulière des juridictions et suppose, pour être efficace, une parfaite circulation de l’information entre les différents services ainsi qu’une interaction efficiente des différents acteurs impliqués dans la mise en œuvre de l’exécution et l’application des peines. La commission d’exécution des peines m’apparaît à cet égard constituer un lieu privilégié pour aborder le traitement des sanctions pénales en matière de violences conjugales, la définition de circuits appropriés et l’évaluation régulière des actions conduites en la matière.

Afin de s’assurer de la pleine mise en œuvre des orientations de politique pénale définies dans la présente circulaire, une évaluation sera faite à l’occasion du rapport annuel du ministère public pour l’année 2019, notamment sur l’attribution des TGD, les mesures d’éviction et les ordonnances de protection. Vous veillerez à m’informer, sous le double timbre de la direction des affaires criminelles et des grâces, bureau de la politique pénale générale, et de la direction des affaires civiles et du sceau, bureau du droit des personnes et de la famille, de toute difficulté dans l’application de la présente circulaire. Nicole Belloubet

DOCUMENT 10 : Contre les violences conjugales, l’Espagne à l’avant-garde, Grand Reportage France Culture du Vendredi 22 novembre 2019 : transcription de podcast (extraits) En 2004, les députés espagnols ont voté à l’unanimité la loi de protection intégrale contre les violences de genre, avec des mesures comme la spécialisation des tribunaux et le bracelet électronique. L’année dernière, 50 Espagnoles ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint (121 en France). L’Espagne est régulièrement citée en exemple en matière de lutte contre les violences conjugales. Il y a 15 ans, les socialistes remplacent les conservateurs au pouvoir. Huit mois après les élections, le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero a fait voter une loi qui concerne de nombreux secteurs dans la société : la loi de protection intégrale contre les violences de genre.

De nombreuses mesures en découlent comme la spécialisation des tribunaux, la mise en place d’un système informatique de suivi et de protection des victimes au niveau national, le port du bracelet anti-rapprochement pour les agresseurs. Le modèle a fait ses preuves : en 2003, l’Espagne dénombrait 71 féminicides contre 50 l’année dernière. Un chiffre qui stagne depuis plusieurs années et qui sera même supérieur en 2019, puisqu’il y a déjà eu 51 féminicides en Espagne depuis le début de l’année.

Comment fonctionne le modèle espagnol qui est tant plébiscité dans des pays comme la France, où plus de deux mois de concertations ont été organisés sur les violences conjugales lors d’un Grenelle ?

Reportage à Madrid. Lorenzo et Encarna montent dans une fourgonnette bleue non-siglée et se dirigent dans un quartier périphérique de Madrid. Les policiers ont rendez-vous avec Nabila, une femme de 42 ans qui s’est fait agresser par son ex-conjoint un peu moins de deux semaines auparavant. “Là, nous nous rendons vers chez elle pour réaliser un entretien : nous allons évaluer le risque qu’elle court et voir s’il y a eu une évolution depuis que le juge a délivré une ordonnance de protection”, décrit Lorenzo.

Au volant, son binôme, Encarna. Ils font partie de l’unité de protection des femmes au sein de la police municipale de Madrid. Ce sont des “agents protecteurs”, comme ils se définissent eux-mêmes. Chaque cas de femme victime de violences conjugales est assigné à un policier de cette unité spécialisée qui devient son “agent protecteur”. “Pour que le système de protection soit efficace, il faut connaître la situation personnelle de la femme, sa situation sociale, économique. Et si c’est le même policier à chaque fois, c’est la meilleure façon de le savoir”, explique Marta Fernandez Ulloa, la chef de l’unité de protection des femmes au sein de la police municipale de Madrid. Au total, il existe 380 policiers spécialisés sur ces questions au sein de la police municipale de Madrid. (…) 80 des 380 agents spécialisés travaillent au siège de la police municipale, les autres sont répartis dans les autres commissariats de quartiers de Madrid. “Nous travaillons 365 jours par an, 24h/24 de façon à ce qu’il y ait toujours des moyens policiers spécialisés en cas d’urgence pour n’importe quelle femme dans la ville de Madrid”, souligne Marta Fernandez Ulloa, une policière énergique de 41 ans. Pour évaluer le risque que court la victime, les policiers s’appuient sur un système informatique mis en place au niveau national à partir de 2007.

Le programme, rattaché au ministère de l’Intérieur, s’appelle VioGen (‘Vio” pour violence et “Gen” pour genre) et il permet de rassembler toutes les informations sur les victimes et les agresseurs présumés/condamnés. Cinq niveaux de risques sont répertoriés par le système : non-apprécié, faible, moyen, élevé et extrême. Si l’agent protecteur entre par exemple dans VioGen une information selon laquelle la femme victime de violences conjugales vit seule dans un immeuble équipé de caméras de surveillance, le risque va a priori être moindre qu’une femme qui doit continuer à vivre sous le même toit que son agresseur. En fonction du risque évalué, un plan de sécurité personnalisé est mis en place. En cas de risque “moyen” par exemple, “si la victime doit être présente à un jugement et que l’auteur des faits est également cité à comparaître, nous devrions l’accompagner au tribunal pour la protéger”, explique Lorenzo, un des policiers spécialisés. La police appelle l’agresseur à partir du risque “faible”.”Nous lui disons que la victime bénéficie d’un service protection policière et que nous ferons attention à la sécurité de la victime et de ses mouvements”, ajoute Marta Fernandez Ulloa, la responsable de l’unité. Ce que nous voulons, c’est dissuader l’agresseur d’agresser à nouveau la victime. Le système VioGen s’appuie également sur les mesures judiciaires. Tant qu’une ordonnance de protection est en vigueur, la protection policière est maintenue. Mais ce n’est pas une condition sine qua non à la mise en place de mesures de sécurité par la police municipale. Avelina, une Madrilène de 67 ans, est par exemple en contact permanent avec la police municipale, qu’elle peut joindre à tout moment, alors que la justice a rejeté sa demande d’ordonnance de protection.

Il y a un mois, elle porté plainte pour violences psychologiques contre son ex-conjoint. “Pour l’instant, la justice lui a dit qu’il voulait rester chez moi parce qu’elle ne considère pas que ce soit des violences conjugales”, confie la sexagénaire, dont le risque a été évalué “moyen” par VioGen. Le juge justifie cette décision par le fait que son ex conjoint n’ait pas une retraite suffisante pour quitter la maison achetée par Avelina. Elle a fait installer une serrure à l’intérieur de sa chambre pour dormir en sécurité. “Une fois quand je suis rentrée vers 22h après avoir être sortie avec des amies, il m’a dit : où est-ce que t’as encore été faire ta pute ? Et c’est comme ça, tous les jours”, soupire la femme de 67 ans, assise à côté de Jean-Paul, son “agent protecteur”. Plus le risque couru par une femme victime de violences conjugales est élevé, plus les mesures de protection policière s’intensifient. À partir du risque “élevé”, les policiers spécialisés l’accompagnent dans tous ses déplacements au cours desquels elle peut être à nouveau agressée. “Si l’agresseur sait où elle travaille, à quelle heure elle va au travail, à quelle heure elle rentre. S’il sait où vont les enfants ou qu’elle doit les emmener chez le médecin. Quand le risque est élevé lors de ses déplacements, nous allons l’accompagner. À partir du risque élevé, la patrouille doit également se dédoubler pour contrôler le mouvement de l’agresseur. Il faut que le policier sache où il travaille, avec quels horaires pour pouvoir anticiper et empêcher qu’il puisse à nouveau l’agresser”, explique Marta Fernandez Ulloa. Si l’agresseur respecte l’ordonnance de protection ou si la victime décide de déménager par exemple, le système VioGen peut diminuer le niveau de risque : il y a alors moins de probabilité que l’agresseur s’en prenne à nouveau à elle. Mais comment se fier à un système informatique en matière de violences conjugales ? Lorenzo, un des policiers spécialisés, met en avant le fait que le programme “déjà subi 4 réformes” pour être “le plus parfait possible”. “Il fonctionne avec les unités de police en charge du suivi des victimes. Si nous n’introduisons pas d’informations dans le programme, cela ne marche pas puisque cela fonctionne sur la base du facteur humain de la police qui suit les victimes de violences conjugales”, justifie-t-il. Si le policier désapprouve l’évaluation du risque faite par VioGen, il peut élever le niveau de risque dans le système en le justifiant. “Un policier ne peut jamais baisser le niveau de risque, mais il peut l’élever”, explique Lorenzo. Aujourd’hui, 1 700 femmes sont suivies par l’unité spécialisée de la police de Madrid.

Au total en Espagne, selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, il existe 60 000 cas actifs de violences conjugales au sein du système VioGen les mesures de protection policière peuvent être déclenchées à nouveau pour un cas inactivé si survient un nouvel incident. Autre pierre angulaire du modèle espagnol depuis la loi de 2004 : l’existence de tribunaux spécialisés en violences conjugales. Il en existe 106 répartis un peu partout sur le territoire, mais surtout dans les capitales provinciales où il y a le plus d’habitants : 11 tribunaux sont par exemple situés à Madrid. Ces juridictions hybrides, avec des compétences à la fois pénales et civiles, traitent exclusivement les affaires de violences conjugales. Dans le reste du pays, dans les villes plus petites par exemple, il existe également 353 tribunaux qui sont spécialisés en violences conjugales mais qui traitent également d’autres types d’affaires. Le juge espagnol a plusieurs outils à sa disposition pour protéger une femme victime de violences conjugales, dont l’ordonnance de protection. Chaque ordonnance peut contenir plusieurs mesures, comme l’interdiction de s’approcher de la victime à moins de 500 mètres, l’interdiction d’entrer en communication avec elle, ou encore le port du bracelet antirapprochement. Au total, l’année dernière, sur 39 000 demandes, la justice a accepté 27 000 ordonnances de protection.

À titre exemple, la justice française en a délivré 1600 l’année dernière. Des tribunaux dit “de garde” ont également été mis en place pour traiter des urgences dans des cas de violences conjugales. À Madrid, sur les 11 tribunaux spécialisés, il y a toujours deux tribunaux qui sont de garde pour prendre des mesures de protection n’importe quel jour de l’année, week-ends et jours fériés inclus. La loi de 2004 impose également une formation à tous les juges qui souhaitent exercer au sein d’un tribunal spécialisé en violences conjugales. “Avant de prendre leurs fonctions, ils doivent suivre une formation obligatoire de deux semaines, théorique et pratique dans une juridiction 23CRFPA-NS1 Page : 23/29 spécialisée. Cette formation conditionne leur entrée dans un tribunal spécialisé en violences conjugales.

Ensuite, ils ont deux cas pratiques (…) qu’ils doivent valider”, met en avant Luisa Roldán, qui dirige le service formation au sein du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire (CGPJ). Une nouvelle réforme, votée l’année dernière et qui est en train d’être mise en oeuvre en Espagne va plus loin : les violences de genre deviennent une spécialité à part entière. Jusque-là, les juges qui travaillaient dans les tribunaux spécialisés en violences conjugales venaient de juridictions pénales. Désormais, comme il existe des juges administratifs, il y aura des juges spécialistes, et non plus seulement spécialisés, en violences conjugales. “Pour exercer dans ces tribunaux, cette spécialité sera prioritaire par rapport à d’autres critères prépondérants comme l’expérience pour l’attribution des postes de juges”, précise Luisa Luisa Roldán. Depuis la loi de 2004, les juges peuvent imposer aux conjoints ou ex-conjoints violents le port du bracelet électronique, intitulé “bracelet anti-rapprochement” en France. Le dispositif a été mis en place en Espagne à partir de 2009 et en dix ans d’existence, 7000 bracelets ont été installés. Aujourd’hui, selon les derniers chiffres du gouvernement qui datent du mois de septembre, 1353 femmes sont actuellement protégées par ce dispositif.

Le bracelet électronique est accompagné d’un dispositif, une sorte de téléphone portable, distribué à la victime mais également à l’agresseur. L’homme violent porte à la cheville un bracelet électronique à radiofréquence et en même temps un dispositif qui ressemble à un portable, l’un ne va pas sans l’autre. Le GPS est en effet installé dans le boîtier du téléphone, ce qui permet de géolocaliser l’agresseur et de s’assurer qu’il ne franchisse pas un périmètre qui est en général de 500 mètres près de la victime. Le même boîtier est délivré à la femme, victime de violences conjugales. C’est sur cet écran qu’elle est prévenue que l’agresseur se trouve près d’elle. “C’est un outil utile et efficace et qui l’a démontré en dix ans d’existence. Il permet de rassurer et de protéger la victime de violences conjugales, puisqu’elle sait que l’homme qui la maltraite ne va pas s’approcher d’elle. Sans compter que c’est un système qui dissuade l’agresseur de s’approcher de sa victime.

C’est un instrument au service de l’administration judiciaire dans la mesure où cela permet de prouver que l’homme qui maltraite sa femme s’est approché d’elle et n’a donc pas respecté la mesure judiciaire à laquelle il était soumis. En dix ans de fonctionnement, aucune femme qui n’avait le dispositif avec elle n’a été assassinée par son agresseur”, affirme Rebeca Palomo Díaz, la déléguée au sein du gouvernement sur les questions de violences conjugales, un poste créé par la loi de 2004. Plus précisément, une femme qui était protégée par ce dispositif a été tuée par son ex-conjoint mais elle ne portait pas sur elle ce jour-là le boîtier. Elle n’a donc pas été prévenue que l’agresseur était près d’elle. Antonia Escudero fait partie des 1353 femmes qui sont actuellement protégées par le dispositif du bracelet électronique en Espagne. Celle que tout le monde appelle Toñi ne se considère plus comme une victime mais comme une survivante de violences conjugales. Elle a été agressée une première fois en 2015 par son conjoint puis en 2016. Selon lui, j’avais regardé un homme. Il a arrêté la voiture, il m’a frappée. J’avais la bouche en sang, j’ai eu peur. Je voyais beaucoup de sang, je pensais qu’il allait me faire quelque chose de pire. Il m’a enfermée dans la voiture, je ne pouvais pas sortir. J’ai réussi à m’échapper en courant, j’ai appelé à l’aide. Puis je suis allée au commissariat porter plainte. Son ex-conjoint a été condamné à 4 mois de prison puis a été placé dans un centre psychiatrique. Jusqu’en 2022, il doit porter un bracelet électronique et a l’obligation de rester éloigné de Toñi à plus de 500 mètres. Cette Madrilène quadragénaire a donc toujours sur elle l’autre partie du dispositif : le GPS intégré dans un boîtier.

Si son ex-conjoint s’approche d’elle, “un petit cercle avec un message en rouge « Agresseur proche » apparaît” sur l’écran, explique-t-elle. Le dispositif est connecté à un centre qui s’appelle Cometa et qui prévient la police en cas d’infraction à la mesure d’éloignement. Il n’y a pas une fois où elle est sortie sans son dispositif : “je me sens protégée parce que j’ai toujours peur”. “J’ai mes habitudes maintenant : le matin, je le laisse ici charger ou dans l’entrée : je prends le téléphone, mon sac et je sors me promener. Je fais toujours comme cela. Et quand je rentre, je le remets à charger, c’est devenu une routine, quelque chose que je fais tous les jours pour ne pas que je l’oublie. Mais je ne l’ai jamais oublié parce que je suis consciente du risque que je courais et je cours toujours”, décrit-elle dans le salon de son appartement madrilène. Son ex-conjoint doit porter le bracelet électronique jusqu’en 2022. Après cette datelà, Toñi pense à nouveau devoir déménager, elle ne sait pas comment elle fera sans le dispositif qui la protégeait jusque-là.

DOCUMENT 11 : A. Tani, Pour une ingratitude matrimoniale, Defrénois 2023, n° 21, p. 25 (extraits, sans notes de bas de page) 143…

C’est le nombre « d’homicides conjugaux » recensés dans le dernier rapport des services de police et de gendarmerie ; soit 14 % de plus que l’année précédente. Parmi ces victimes, 122 femmes et 21 hommes. Ces violences, dénoncées par différents mouvements associatifs et politiques à l’occasion de diverses affaires, ayant pour la plupart une très forte répercussion médiatique, ont été à l’origine des mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, que met finement en perspective la sociologue Irène Théry dans son dernier ouvrage. Leur ampleur fut sans précédent, au point que les pouvoirs publics – en même temps que l’opinion publique – semblent aujourd’hui davantage sensibles aux violences faites aux femmes et, plus largement (car le débat ne doit pas se réduire à cela), aux violences dans le couple et au sein des familles. Grande cause nationale. On se souvient que les droits des femmes ont été déclarés « grande cause nationale » et ont donné lieu, à l’automne 2019, à un Grenelle sur les violences conjugales ; sujet auquel le gouvernement a récemment réaffirmé son attachement prioritaire. Cet engagement politique a trouvé une réelle traduction juridique puisqu’en quelques années à peine, plusieurs lois consacrées spécifiquement à ces questions ont été adoptées et un nouveau texte est actuellement en débat au Parlement. Mesures concrètes. Dans cet empilement et succession de réformes, des mesures concrètes et remarquées sont à signaler : la levée du secret médical en certaines situations extrêmes, la création d’une infraction d’outrage sexiste pour lutter contre le harcèlement de rue, la facilitation du dépôt de plainte même pour qui ne peut se déplacer, le déploiement des téléphones « grave danger » et des bracelets antirapprochement… Le notariat, dans sa pratique plus quotidienne, aura entre autres été attentif à certaines innovations, à l’instar de la possibilité pour le locataire victime de violences conjugales de donner congé en bénéficiant d’un préavis réduit à un mois, ou encore de l’ajout d’un nouveau cas d’indignité successorale facultative contre « celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt » (C. civ., art. 727, 2° bis). Angle mort. Si l’on sent bien une volonté très nette de mieux sanctionner les comportements violents dans les familles, et plus particulièrement au sein du couple, il faut admettre que le droit des régimes matrimoniaux est, quant à lui, assez en reste sur ce point.

La technique des avantages matrimoniaux est même susceptible d’aboutir à de profondes injustices. C’est là un « angle mort », aussi majeur que regrettable, de la législation civile : un époux (si l’on suit les statistiques) qui serait reconnu responsable de la mort de son conjoint peut bénéficier, en vertu des dispositions du contrat de mariage, d’un avantage matrimonial. Pareille conséquence de l’application du droit des régimes matrimoniaux est suffisamment choquante pour que cette matière se dote rapidement d’un outil juridique efficace, notamment en reconnaissant une « ingratitude matrimoniale » pour empêcher celui qui a eu un comportement infamant à l’endroit de son conjoint de revendiquer le bénéfice d’un quelconque avantage matrimonial.

L’exposé de ce problème (I) invite nécessairement à tenter d’esquisser quelques solutions

(II). I – Exposé du problème L’injustice du cas de figure envisagé (qui aurait pu confiner au cas d’école s’il n’arrivait jamais qu’il se rencontre malheureusement en pratique) est d’autant plus forte (A) que la réponse du droit pour la contrer paraît faible (B). A – Force de l’injustice Injustice criante. Le droit positif est d’une injustice criante : bien que cela ait de quoi surprendre, l’époux qui a attenté à la vie de son conjoint peut valablement bénéficier d’un avantage matrimonial (de même qu’il peut, tout aussi injustement, profiter d’une tontine dont le dénouement est provoqué par son crime).

Pour peu que les époux aient adopté le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale au survivant (comme cela est classique après un certain âge), on comprend toute l’iniquité de cette situation qui, par l’application de l’avantage matrimonial, tend à vider la succession de la personne assassinée de tout contenu et à léser ses héritiers.

Exemple 1 Prenons un exemple simple : Hélène et Louis sont mariés sous le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale au survivant. Sans entrer dans une qualification pénale appropriée (meurtre, assassinat, etc.), Louis provoque la mort d’Hélène. Puisqu’en bonne méthode la liquidation matrimoniale s’opère nécessairement avant la liquidation successorale, Louis devient en droit de recevoir la totalité de la communauté universelle, dont l’intégralité du patrimoine de son épouse. Pousse-au-crime. Voici alors comment l’auteur de ce qu’il faudrait peut-être appeler un « conjugicide » (pour essayer d’embrasser plus largement que le « féminicide » dont le mot fait pourtant peu à peu son entrée dans les dictionnaires, supplantant ainsi le terme « d’uxoricide », hérité de Rome mais progressivement délaissé) peut, presque en toute légalité, recueillir tous les biens du couple. Un « pousse-au-crime » que la Cour de cassation, dans l’une des rares décisions où elle eut à connaître de cette question, a validé en rejetant sèchement et sans grand développement (nous étions avant la motivation enrichie issue des nouvelles règles de rédaction) tous les arguments – atteinte à la bonne foi, caractérisation d’une fraude – invoqués par les héritiers de la victime.

Quoique juridiquement fondée, une telle solution n’en est pas moins moralement choquante. Risque d’exhérédation injustifiée. Pour noircir davantage le tableau, le droit civil ne prévoit aucune protection particulière pour les enfants issus du même lit ; seuls les enfants non communs pourraient éventuellement se prévaloir du bénéfice de l’action en retranchement pour ce qui irait au-delà de la quotité disponible spéciale entre époux (C. civ., art. 1527, al. 2). Mais cela ne répare pas tout, et ne lave certainement pas le crime. Exemple 2 Un autre cas de figure serait plus scabreux encore, mais tout à fait possible. Imaginons qu’Hélène n’ait pas d’enfant mais, comme son époux, seulement des frères et sœurs. Si après avoir tué Hélène, Louis se donne la mort (cela se voit souvent dans ces sordides affaires), les conséquences seront plus désastreuses encore sur le terrain patrimonial : par l’effet de l’avantage matrimonial, Louis transmet tout le patrimoine commun à ses seuls frères et sœurs en excluant ceux de son épouse tuée, qui (à l’inverse des enfants) ne peuvent invoquer aucune protection. Comment ne pas s’en émouvoir ? B – Faiblesse du droit (…)

II – Esquisse de solution Sauf évolution prochaine de la jurisprudence (A), la solution ne pourrait venir que d’une intervention du législateur (B). A – Évolution jurisprudentielle Raisons d’y parvenir. La jurisprudence serait bien inspirée de déroger à la règle de principe affirmée par l’article 1527, alinéa 1er, du Code civil, et relayée par l’article 1525 du même code pour les clauses d’attribution intégrale, pour décider à l’avenir d’appliquer les dispositions relatives à l’ingratitude à la matière des avantages matrimoniaux. Non seulement, la justice de la solution commanderait pareille évolution jurisprudentielle : cela permettrait de combler ce qui peut apparaître comme un « oubli législatif » (plus d’ailleurs que comme un « vide juridique », car si la loi ne peut certes pas tout prévoir, il n’en reste pas moins que le droit, quant à lui, est par définition partout).

Ce d’autant plus qu’il n’est pas interdit de penser que si le législateur ne prévoit pas de cas de révocation pour ingratitude des avantages matrimoniaux, c’est moins par choix que par négligence. Dès lors, si en apparence elle semblerait agir contra legem, la décision tendant à retenir une révocation d’un avantage matrimonial pour cause d’ingratitude pourrait pallier un manquement législatif sur la question des violences conjugales. D’ailleurs, les juridictions du fond pourront peut-être franchir le pas, dès lors qu’elles ont pu, par le passé, se montrer parfois plus sensibles à l’équité qu’à la stricte légalité.

Ainsi l’esprit devrait sans doute pouvoir ici prévaloir sur la lettre. Mais c’est surtout que le contexte paraît favorable à une telle évolution de la jurisprudence : elle témoignerait d’un changement radical de perception, en même temps qu’elle serait plus conforme aux aspirations actuelles de la société. Les réformes législatives récentes, associées à une prise de conscience collective, pourraient fortement inciter les juges judiciaires à suivre ces évolutions en se montrant enclins à étendre la révocation d’une libéralité pour cause d’ingratitude aux avantages matrimoniaux. Moyens d’y parvenir.

À se convaincre de l’opportunité de reconnaître judiciairement une « ingratitude matrimoniale », deux voies pourraient être empruntées. (…) Dès lors, on peut espérer qu’un tribunal consente – avec un peu d’audace – à dégager ce principe général du droit qui commanderait de frapper d’ingratitude le conjoint violent ou, a minima, qu’il intime indirectement au législateur d’y parer.

B – Intervention législative (…) Deux poids deux mesures. Au-delà, on peinerait à comprendre que rien ne soit prévu en matière d’avantage matrimonial, alors que tout est prévu en droit de la famille (C. civ., art. 207), en droit des successions (C. civ., art. 726 et s.), en droit des libéralités (C. civ., art. 955 et s. et C. civ., art. 1046 et s.), en droit des assurances (C. assur., art. L. 132-24), ou encore en droit de la sécurité sociale (CSS, art. L. 342-1-1 et CSS, art. L. 161-22-3). Au fond, pourquoi est-ce que ce qui est bon pour les uns, ne serait pas bon pour les autres ? On n’est d’ailleurs pas bien sûr que ce « deux poids deux mesures » dans la loi résisterait devant le Conseil constitutionnel, ni même devant la Cour européenne des droits de l’Homme, où pourrait être soutenue une violation de l’article 2 (protection de la vie), de l’article 3 (interdiction de la torture), de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et/ou de l’article 14 (principe de non-discrimination). On serait d’autant plus tenté de croire au succès d’une telle démarche que la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle régulièrement que les « États ont une obligation positive d’établir et d’appliquer effectivement un système de répression de toute forme de violence conjugale ». Voilà qui devrait inciter le législateur à agir sans délai. Espoir de réforme. Dans cette « oasis de stabilité » qu’incarnaient pour Philippe Malaurie les régimes matrimoniaux, constatant que la matière n’avait guère connu de réforme depuis les années Carbonnier, à la différence de tous les autres pans du droit civil (famille, successions, libéralités, obligations, sûretés… et peut-être demain contrats spéciaux, responsabilité civile, publicité foncière), une retouche sur ce point serait pertinente. Une réforme globale des régimes matrimoniaux, envisagée furtivement et sine die, paraît moins certaine dans la configuration politique et sociale du moment.

Or, sans qu’il soit nécessaire d’envisager une réforme d’ensemble et sans risquer d’incarner un cavalier législatif, on pourrait parfaitement concevoir (autant qu’on peut l’espérer) qu’à l’occasion d’un prochain texte sur les violences intrafamiliales, on s’empare de ce sujet pour régler cette difficulté qui, quoique fort heureusement assez marginale, témoigne d’une regrettable lacune de la législation civile, pourtant censée produire des comportements civilisés. (…)

DOCUMENT 12 : Cass. civ. 3e, 20 avr. 2023, n° 22-13036 Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire d’Alès, 17 mai 2021), rendu en dernier ressort, la société Un Toit pour tous (la bailleresse) a donné à bail un logement à Mme [K] et M. [C] (les locataires).

2. Exposant avoir quitté le logement en raison de violences exercées au sein du couple par M. [C], son concubin, Mme [K] en a informé la bailleresse, le 9 octobre 2017, afin de ne plus être tenue solidairement avec celui-ci au paiement des loyers. (…) Énoncé du moyen

4. La locataire fait grief au jugement de la condamner au paiement d’une certaine somme au titre de l’arriéré locatif, alors « que la copie de l’ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales, dont bénéficie la locataire victime de violences conjugales, n’a pas à être jointe impérativement au courrier adressé au bailleur pour l’informer des violences exercées sur elle et peut être remplacée par tout document justifiant de la plainte déposée pour violences conjugales ; qu’en empêchant Mme [K] de se prévaloir de la fin de la solidarité du locataire victime de violences, après avoir constaté qu’au courrier recommandé adressé au bailleur le 9 octobre 2017, était jointe une copie de la plainte pénale pour violences volontaires, le tribunal a violé l’article 8-2 de la loi du 6 juillet 1989. »

Réponse de la Cour 5. La loi ne disposant que pour l’avenir et n’ayant point d’effet rétroactif, l’article 8-2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, créé par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, n’est pas applicable à un bail résilié avant son entrée en vigueur.

6. Le tribunal a constaté que la bailleresse avait été informée le 9 octobre 2017 par la locataire qu’elle avait quitté le logement en raison de violences exercées par son concubin et que les clés du logement avaient été restituées le 26 février 2018.

7. Il en résulte que, le bail étant résilié à cette date, le texte précité n’était pas applicable, en sorte que la solidarité n’a pas pu être privée d’effet. (…)

PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE le pourvoi ;